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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/129

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Il est maître de tout, et souvent l’innocent
Tombe dessous le joug d’un ennemi puissant ;
Et souvent la vertu, ne passant que pour crime,
D’un injuste supplice en fait un légitime,
Lorsque de son État les destins envieux
L’emportent aux mortels pour la porter aux Dieux.
Apaisons donc César par un sang si funeste,
Qui nous est un venin, un aspic, une peste ;
Et puisque contre nous il fit cet attentat,
Qu’il rassure en mourant la couronne et l’État.
Que l’équité le veuille, ou bien que l’injustice,
Perdant notre ennemi, nous rende un bon office,
Il n’importe : pourvu qu’en perdant l’ennemi,
Le pays soit en paix et le sceptre affermi.
Faisons donc que le droit le cède à la puissance :
Pour bien régner, qu’il souffre un peu de violence.
Qu’en perdant l’ennemi, ce précieux moment
Redonne à notre État un plus sûr fondement.
Peut-être que César lui laisseroit la vie ;
Mais il sera content qu’elle lui soit ravie.
En se voyant vengé par la faute d’autrui,
Il rendra la faveur qu’on lui fait aujourd’hui,
Et les Dieux et César autorisent ce crime,
Qu’encor notre intérêt fait assez légitime,
Puisqu’il vit pour nous perdre, et puisqu’un homme mort
Ne peut plus empirer ou troubler notre sort.

PTOLOMÉE.

 Qu’il meure, et que sa mort affranchisse son âme :
C’est par où le vaincu doit éviter le blâme.