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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/144

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ÉPÎTRE[1].


Monsieur,

Je vous présente une pièce de théâtre d’un style si éloigné de ma dernière, qu’on aura de la peine à croire qu’elles soient parties toutes deux de la même main, dans le même hiver. Aussi les raisons qui m’ont obligé à y travailler ont été bien différentes. J’ai fait Pompée pour satisfaire À ceux qui ne trouvoient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j’en saurois bien retrouver la pompe quand le sujet le pourroit souffrir ; j’ai fait le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d’autres qui, suivant l’humeur des François, aiment le changement, et après tant de poëmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. Dans le premier, j’ai voulu faire un essai de ce que pouvoit[2] la majesté du raisonnement, et la force des vers, dénués de l’agrément du sujet ; dans celui-ci, j’ai voulu tenter ce que pourroit l’agrément du sujet, dénué de la force des vers. Et d’ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvois l’abandonner tout à fait sans quelque espèce d’ingratitude. Il est vrai que comme alors que je me hasardai à le quitter, je n’osai me fier à mes seules forces, et que pour m’élever à la dignité du tragique, je pris l’appui du grand Sénèque, à qui j’empruntai tout ce qu’il avoit donné de rare à sa Médée : ainsi, quand je me suis résolu de repasser du héroïque[3]

  1. Cette épître ne se trouve que dans les éditions antérieures à 1660.
  2. Pouvoit est au singulier dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille.
  3. Tel est le texte de toutes les impressions (de 1644 à 1656).