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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/159

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Et dans toute la France il est fort peu d’endroits
80Dont il n’ait le rebut aussi bien que le choix.
Comme on s’y connoît mal, chacun s’y fait de mise[1],
Et vaut communément autant comme il se prise ;
De bien pires que vous s’y font assez valoir.
Mais, pour venir au point que vous voulez savoir,
Êtes-vous libéral ?

DORANTE.

85Êtes-vous libéral ?Je ne suis point avare.

CLITON.

C’est un secret d’amour et bien grand et bien rare ;
Mais il faut de l’adresse à le bien débiter.
Autrement on s’y perd au lieu d’en profiter.
Tel donne à pleines mains qui n’oblige personne :
90La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne[2].
L’un perd exprès au jeu son présent déguisé ;
L’autre oublie un bijou qu’on auroit refusé.
Un lourdaud libéral auprès d’une maîtresse
Semble donner l’aumône alors qu’il fait largesse ;
95Et d’un tel contre-temps il fait tout ce qu’il fait,
Que quand il tâche à plaire, il offense en effet.

DORANTE.

Laissons là ces lourdauds contre qui tu déclames,
Et me dis seulement si tu connois ces dames.

CLITON.

Non : cette marchandise est de trop bon aloi ;
100Ce n’est point là gibier à des gens comme moi ;
Il est aisé pourtant d’en savoir des nouvelles,

  1. Se faire de mise, se faire valoir. « On dit au figuré qu’un homme est de mise, pour dire qu’il a de la mine, de la capacité, qu’il peut trouver aisément de l’emploi, qu’il peut rendre de bons services. » (Furetière.)
  2. Corneille a dit deux ans plus tard, dans son Remercîment à M. le cardinal de Mazarin, publié en tête de la Mort de Pompée (voyez ci-dessus, p. 10) et placé par nous dans les Poésies diverses :
    Sa façon de bien faire est un second bienfait.