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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/161

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J’estime plus un don qu’une reconnaissance :
Qui nous donne fait plus que qui nous récompense ;
Et le plus grand bonheur au mérite rendu
Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû.
125La faveur qu’on mérite est toujours achetée ;
L’heur en croît d’autant plus, moins elle est méritée ;
Et le bien où sans peine elle fait parvenir
Par le mérite à peine auroit pu s’obtenir.

DORANTE.

Aussi ne croyez pas que jamais je prétende
130Obtenir par mérite une faveur si grande.
J’en sais mieux le haut prix ; et mon cœur amoureux,
Moins il s’en connoît digne, et plus s’en tient heureux.
On me l’a pu toujours dénier sans injure ;
Et si, la recevant, ce cœur même en murmure,
135Il se plaint du malheur de ses félicités,
Que le hasard lui donne, et non vos volontés.
Un amant a fort peu de quoi se satisfaire
Des faveurs qu’on lui fait sans dessein de les faire :
Comme l’intention seule en forme le prix,
140Assez souvent sans elle on les joint au mépris.
Jugez par là quel bien peut recevoir ma flamme
D’une main qu’on me donne en me refusant l’âme.
Je la tiens, je la touche, et je la touche en vain,
Si je ne puis toucher le cœur avec la main.

CLARICE.

145Cette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle,
Puisque j’en viens de voir la première étincelle.
Si votre cœur ainsi s’embrase en un moment,
Le mien ne sut jamais brûler si promptement[1] ;
Mais peut-être, à présent que j’en suis avertie,
150Le temps donnera place à plus de sympathie.

  1. Var. Le mien ne brûle pas du moins si promptement. (1644-56)