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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/165

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CLITON.

Quelle place ? Royale, et l’autre y loge aussi.
200Il n’en sait pas le nom, mais j’en prendrai souci.

DORANTE.

Ne te mets point, Cliton, en peine de l’apprendre.
Celle qui m’a parlé, celle qui m’a su prendre,
C’est Lucrèce, ce l’est sans aucun contredit :
Sa beauté m’en assure, et mon cœur me le dit.

CLITON.

205Quoique mon sentiment doive respect au vôtre,
La plus belle des deux, je crois que ce soit l’autre.

DORANTE.

Quoi ! celle qui s’est tue et qui, dans nos propos,
N’a jamais eu l’esprit de mêler quatre mots ?

CLITON.

Monsieur, quand une femme a le don de se taire[1],
210Elle a des qualités au-dessus du vulgaire :
C’est un effort du ciel qu’on a peine à trouver ;
Sans un petit miracle il ne peut l’achever ;
Et la nature souffre extrême violence[2],
Lorsqu’il en fait d’humeur à garder le silence.
215Pour moi, jamais l’amour n’inquiète mes nuits ;
Et, quand le cœur m’en dit, j’en prends par où je puis ;
Mais naturellement femme qui se peut taire
A sur moi tel pouvoir et tel droit de me plaire,
Qu’eût-elle en vrai magot tout le corps fagoté,

  1. Var. Ah ! depuis qu’une femme a le don de se taire,
    [Elle a des qualités au-dessus du vulgaire ;]
    Cette perfection est rare, et nous pouvons
    L’appeler un miracle, au siècle où nous vivons,
    Puisqu’à l’ordre commun le ciel fait violence,
    La formant compatible avecque le silence.
    Moi, je n’ai point d’amour en l’état où je suis,
    [Et quand le cœur m’en dit, j’en prends par où je puis.] (1644-56)
  2. Var. Et la nature souffre entière violence. (1660-64)