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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/17

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NOTICE.


Le génie espagnol attirait Corneille avec une violence impérieuse dont il nous a lui-même fait l’aveu dans l’Épître qu’il a placée en tête du Menteur. « J’ai cru, dit-il, que nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’étoit permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce étoit un crime, il y a longtemps que je serois coupable, je ne dis pas seulement pour le Cid, où je me suis aidé de D. Guillen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où pensant me fortifier du secours de deux Latins, j’ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue[1]. »

Sa prédilection pour Lucain datait de loin ; il avait remporté un prix de rhétorique pour une traduction en vers français d’un morceau de la Pharsale, et, après les éclatants triomphes de la scène, il se plaisait encore à se rappeler cette humble victoire de collège et le bonheur qu’elle lui avait causé[2].

Huet s’exprime ainsi dans le paragraphe de ses Origines de Caen consacré à Malherbe : « S’il a manqué de goût dans le discernement de la belle poésie, ce défaut lui a été commun avec plusieurs excellents poètes que j’ai connus. Le grand Corneille, prince des poètes dramatiques françois, m’a avoué, non sans quelque peine et quelque honte, qu’il préféroit Lucain à Virgile. Mais cela est plus excusable dans un poète de théâtre, qui cherchant à plaire au peuple et s’étant fait un long usage de tourner ses pensées de ce côté-là, y avoit aussi formé son goût, et n’étoit plus touché que de ce qui touche

  1. Voyez plus loin, p. 131.
  2. Voyez l’Esprit du grand Corneille, par François de Neufchâteau, p. 401.