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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/18

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le plus vulgaire, de ces sentiments héroïques, de ces figures brillantes et de ces expressions relevées[1]. »

Boileau, moins accommodant, ne peut contenir son indignation, et l’exhale dans ces vers de l’Art poétique[2], qui paraissent bien s’appliquer à Corneille :

Tel excelle à rimer, qui juge sottement ;
Tel s’est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n’a distingué Virgile.

Corneille tenait très-fort à prouver qu’il possédait le secret de cette diction majestueuse si sérieusement admirée par lui chez autrui : c’était la qualité dont il était le plus fier ; il ne souffrait pas qu’on élevât un doute à cet égard, et sa susceptibilité sur ce point nous a valu la Mort de Pompée. « J’ai fait Pompée, dit-il dans l’Épître qui est en tête du Menteur, pour satisfaire à ceux qui ne trouvoient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j’en saurois bien retrouver la pompe, quand le sujet le pourroit souffrir. »

  1. Origines de Caen, chapitre xxiv (édition de 1702, p. 545 et 546 ; 2e édition, 1706, p. 366). — La Bibliothèque impériale possède un exemplaire de cette dernière édition tout rempli d’additions manuscrites de Huet. Il y a écrit en regard du passage que nous venons de citer la note que voici : « Il a déclaré ce sentiment au public dans la préface qui est à la tête de sa comédie de la Mort de Pompée. » Corneille, dans son avis Au lecteur, parle en effet de son admiration pour Lucain ; mais il n’indique en aucune façon qu’il le préfère à Virgile. — Dans les mémoires de Huet publiés en 1718 sous ce titre : Petri Danielis Huetii… Commentarius de rebus ad eum pertinentibus (p. 313 et 314), le jugement que nous venons d’extraire des Origines de Caen est ainsi développé : « Cohorrui equidem aliquando, quum candide fateretur mihi, non tamen sine ingenua quadam verecundia, se Lucanum Virgilio anteferre : homo scilicet vulgi plausus sectari solitus, totusque ad secundas populi admirationes compositus, grandes illas, magnificas, et acutas aucupabatur sententias, multitudini commovendæ idoneas, iis neglectis poeticæ artis virtutibus, quæ sitæ sunt in ingeniosa et prudenti inventione, in accurata constitutione suscepti operis, in æqua partium divisione ac consensione, in styli dignitate per omnes partes diffusa, et ad eas tamen subjectamque materiam accommodata. Parum ad hæc respexit Cornelius, nec satis perspecta habuit, suoque delectatus artificio, cætera contemsit. »
  2. Chant IV, vers 82-84.