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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/189

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DORANTE.

605Mais poursuis.Je la vis presque à mon arrivée.
Une âme de rocher ne s’en fût pas sauvée,
Tant elle avait d’appas, et tant son œil vainqueur
Par une douce force assujettit mon cœur !
Je cherchai donc chez elle à faire connoissance ;
610Et les soins obligeants de ma persévérance
Surent plaire de sorte à cet objet charmant,
Que j’en fus en six mois autant aimé qu’amant.
J’en reçus des faveurs secrètes, mais honnêtes ;
Et j’étendis si loin mes petites conquêtes,
615Qu’en son quartier souvent je me coulois sans bruit,
Pour causer avec elle une part de la nuit.
Un soir que je venois de monter dans sa chambre…
(Ce fut, s’il m’en souvient, le second de septembre ;
Oui, ce fut ce jour-là que je fus attrapé),
620Ce soir même son père en ville avait soupé ;
Il monte à son retour, il frappe à la porte : elle
Transit, pâlit, rougit, me cache en sa ruelle,
Ouvre enfin, et d’abord (qu’elle eut d’esprit et d’art !)
Elle se jette au cou[1] de ce pauvre vieillard,
625Dérobe en l’embrassant son désordre à sa vue ;
Il se sied ; il lui dit qu’il veut la voir pourvue ;
Lui propose un parti qu’on lui venoit d’offrir.
Jugez combien mon cœur avoit lors à souffrir !
Par sa réponse adroite elle sut si bien faire,
630Que sans m’inquiéter elle plut à son père.
Ce discours ennuyeux enfin se termina ;
Le bonhomme partoit quand ma montre sonna[2] ;
Et lui, se retournant vers sa fille étonnée :

  1. L’édition de 1656 est la seule qui porte col, et non cou (coû).
  2. « On faisoit autrefois des montres à sonnerie, qui sonnoient d’elles-mêmes à l’heure, à la demie, et quelquefois aux quarts. » (Dictionnaire de Trévoux.)