Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/266

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trouver dans nos mœurs une autre cause de retard et d’empêchement, suppose[1] avec peu d’adresse un père d’Alcippe qui est à Tours, qui depuis deux ans devrait venir à Paris marier son fils, et dont le voyage est sans cesse différé par diverses petites causes.

Jacinte a des égards pour cet aspirant qu’elle ne hait point : c’est pourquoi elle a quitté plus tôt la conversation de l’agréable Péruvien des Platerias ; c’est pourquoi aussi elle voudrait connaître un peu le fils de don Beltran, sans qu’il lui fût encore présenté en personne. L’hémistiche de Corneille : Mais connoître dans l’âme[2], marque bien la discordance des tons, et déroute l’intelligence. Voyez plus loin un autre hémistiche : Pour en venir à bout[3], qui ne doit se rapporter qu’à cette intention curieuse de la jeune fille, mais qui, même grammaticalement, ne se rapporte d’une manière bien nette à quoi que ce soit, ce qui fait que l’on ne comprend plus du tout la petite intrigue qui va suivre.

Dans une intention plus claire et plus naturelle, Jacinte imagine un léger artifice espagnol assez décent, pour pouvoir incognito entendre causer le fils de don Beltran après qu’elle l’aura vu passer à cheval sous sa fenêtre ; et cette invention ne vient pas de sa suivante Isabelle, comme dans Corneille. À Madrid, et dans la pratique reçue au théâtre, un jeune homme peut être appelé par un billet mystérieux, et amené, à la nuit close, par un messager fidèle, sous une fenêtre (grillée) d’où une jeune dame, inconnue, sauf les renseignements qu’il pourra prendre, aurait quelque question à lui adresser fort honnêtement. On priera donc Lucrèce, l’amie dévouée, d’envoyer à Garcia cet appel anonyme auquel un jeune cavalier ne peut manquer de se rendre, et Jacinte, placée avec elle derrière cette grille, pourra le faire parler sans être elle-même reconnue à la voix (condition toujours accordée sur la scène espagnole), et sans qu’elles soient le moins du monde compromises ni l’une ni l’autre. Il sera bon seulement qu’une soubrette fasse le guet à l’intérieur, pour éviter l’intervention fâcheuse d’un vieux parent.

Ces habitudes méridionales sont si peu à l’aise sur la scène de Corneille, que, sans le texte espagnol, l’imitation devient presque inintelligible. Aussi Voltaire n’a-t-il rien compris à cette partie de la pièce, et ses quiproquos, dont il nous suffit d’avertir le lecteur, achèveraient de lui faire perdre le fil déjà embrouillé de l’intrigue[4]. Il eût fallu avant tout rendre exactement et dans la juste mesure l’intention des deux jeunes filles. L’idée de connoître dans l’âme par

  1. Voyez acte II, scène ii, vers 426 et suivants.
  2. Ibidem, vers 423.
  3. Ibidem, vers 450.
  4. Voyez ses notes sur la scène v du IIIe acte et sur le vers 955. La seconde de ces notes ne se trouve pas dans la première édition de son commentaire.