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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/277

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Quelque chose manque pourtant : il était naturel d’amplifier le récit du combat par quelques grands détails d’escrime comme fait Alarcon. Pour en inventer, Corneille, qui n’était pas homme d’épée, pouvait manquer de ressources techniques ; mais pourquoi ne traduit-il pas le grand fait d’armes de son auteur ? D’abord il ne veut pas dire qu’un Agnus Dei porté par l’adversaire l’a préservé d’un terrible coup d’estocade en brisant l’estoc par la moitié. De plus, pour suivre le poëte espagnol, il eût fallu raconter que, réduit au tronçon de l’arme, le vainqueur a fendu le crâne à son ennemi ; mais Corneille veut éviter le double emploi d’une lame brisée : or déjà le Menteur nous disait en contant l’esclandre de Poitiers :

« Mon épée en ma main en trois morceaux rompit[1]. »

Notez que ce contre-temps avait été judicieusement substitué alors à celui d’un nœud d’épée qui, dans l’espagnol, s’était accroché au loquet d’une serrure. Notre poëte n’avait pas voulu d’un accident trop analogue à celui du pistolet accroché par les cordons de la montre. Mais ce souvenir transposé de l’épée brisée n’est-il pas encore un exemple de ces scrupules de fidélité dont nous venons de parler ?

Nous devons ajouter que dans sa forme réduite Corneille écrit admirablement tout ce passage, avec un sel comique qui, tout en imitant, surpasse l’original, par exemple dans ce tour rapide : À ce compte il est mort ? — Je le laissai pour tel[2].

Vino sin sentido al suelo,
y aun sospecho que sin aima.
Dejéle así, y con secreto
me vine.

On peut comparer les passages suivants, à partir du vers 1168 de Corneille :

TRISTAN.

Tambien á mi me la pegas !
Al secretario del alma !
..........

DON GARCÍA.

Sin duda que le han curado
por ensalmo.
..........

TRISTAN.

Señor, mis servicios paga
con enseñarme ese ensalmo.

DON GARCÍA.

Esta en dicciones hebráicas,

  1. Acte II, scène v, vers 652.
  2. Acte IV, scène i, vers 1143 et 1144.