Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraisemblance dans cet oubli que dans celui du nom de famille. Le seigneur de Herrera à Salamanque va donc s’appeler don Diego, après avoir été nommé ci-devant don Pedro ; la variante s’expliquera en Espagne par l’adoption d’un nouveau prénom à titre d’héritage testamentaire ; en France, Armédon changé en Pyrandre s’expliquera comme un nom de terre :

« Il portoit ce dernier quand il fut à la guerre[1]. »

Et quand le bonhomme enfin s’est retiré content :

« Il faut bonne mémoire après qu’on a menti.
« — L’esprit à secouru le défaut de mémoire[2]. »

El que miente ha menester
gran ingenio y gran memoria.

Les deux scènes dont nous venons de parler sont disposées par Alarcon dans un ordre tout différent qu’il serait trop long d’exposer. L’entrée d’Alcippe au moment où on vient de le tuer, est motivée autrement par Corneille, et d’une manière un peu froide. Après tout ce qui s’est passé, cet Alcippe n’a pas besoin de témoigner tant d’empressement et d’amitié à Dorante. La nouvelle qu’il apporte, c’est que son père est arrivé de Tours, condition absolue de son mariage, comme dans l’espagnol l’obtention d’une commanderie par don Juan de Sosa.

Mais ici, en s’écartant de l’original, notre comédie dégénère rapidement. Nous n’insisterons pas dans la seconde moitié de cet acte sur l’intervention de cette soubrette Sabine qui ne parle que de se faire payer, sans qu’on en comprenne l’utilité. L’équivalent de cette figure est dans le texte un valet de Lucrèce qui tient moins de place et qui sert à l’action. Il serait superflu de poursuivre ces petits emprunts partiels, où le modèle rendu presque méconnaissable est pourtant toujours rappelé plus ou moins indirectement.

XVIII.

Encore un beau moment de grande imitation dans le cinquième acte, au commencement, et c’est tout ce que nous aurons à comparer. C’est assez, en effet, de cette succession de passages brillants déduits d’un même caractère, pour avoir maintenu la comédie de Corneille au rang qu’elle occupe sur notre théâtre, malgré l’effort d’indulgence qu’exigent, surtout vers la fin, sa composition et son ensemble dramatique.

Le père du Menteur demande quelques renseignements sur sa nou-

  1. Acte IV, scène iv, vers 1254.
  2. Acte IV, scène v, vers 1260 et 1261.