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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/300

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dant que Dorante écrit[1] ; car il ne faut jamais laisser le théâtre sans qu’on y agisse, et l’on n’y agit qu’en parlant. Ainsi Dorante qui écrit ne le remplit pas assez ; et toutes les fois que cela arrive, il faut fournir l’action par d’autres gens qui parlent. Le second débute par une adresse digne d’être remarquée, et dont on peut former cette règle, que quand on a quelque occasion de louer une lettre, un billet ou quelque autre pièce éloquente ou spirituelle, il ne faut jamais la faire voir, parce qu’alors c’est une propre louange que le poëte se donne à soi-même[2] ; et souvent le mérite de la chose répond si mal aux éloges qu’on en fait, que j’ai vu des stances présentées à une maîtresse, qu’elle vantoit d’une haute excellence, bien qu’elles fussent très médiocres, et cela devenoit ridicule. Mélisse loue ici la lettre que Dorante lui a écrite ; et comme elle ne la lit point, l’auditeur a lieu de croire qu’elle est aussi bien faite qu’elle le dit. Bien que d’abord cette pièce n’eût pas grande approbation, quatre ou cinq ans après la troupe du Marais la remit sur le théâtre avec un succès plus heureux ; mais aucune des troupes qui courent les provinces ne s’en est chargée. Le contraire est arrivé de Théodore, que les troupes de Paris n’y ont point rétablie depuis sa disgrâce, mais que celles des provinces y ont fait assez passablement réussir.


  1. Voyez acte I, scène ii, vers 205 et suivants.
  2. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : que le poëte se donne à lui-même.