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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/367

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LYSE.

Une première vue, un moment d’entretien,
1220Vous fait ainsi tout croire et ne douter de rien[1] !

MÉLISSE.

Quand les ordres du ciel nous ont faits l’un pour l’autre,
Lyse, c’est un accord bientôt fait que le nôtre[2] :
Sa main entre les cœurs, par un secret pouvoir,
Sème l’intelligence avant que de se voir ;
1225Il prépare si bien l’amant et la maîtresse,
Que leur âme au seul nom s’émeut et s’intéresse.
On s’estime, on se cherche, on s’aime en un moment :
Tout ce qu’on s’entre-dit persuade aisément ;
Et sans s’inquiéter d’aucunes peurs frivoles[3],
1230La foi semble courir au-devant des paroles :
La langue en peu de mots en explique beaucoup ;
Les yeux, plus éloquents, font tout voir tout d’un coup ;
Et de quoi qu’à l’envi tous les deux nous instruisent,
Le cœur en entend plus que tous les deux n’en disent[4].

LYSE.

1235Si, comme dit Sylvandre, une âme en se formant[5],

  1. Var. Vous font ainsi tout croire et ne douter de rien ! (1645-60)
  2. Var. Lyse, c’est un amour bientôt fait que le nôtre. (1645-56)
    Var. Lyse, c’est un traité bientôt fait que le nôtre. (1660)
  3. Var. Et sans s’inquiéter de mille peurs frivoles (a). (1645-64)

    (a) Voltaire, qui, dans son texte (1764), donne, comme nous, ce vers d’après l’impression de 1682, le cite dans une note avec de mille, pour d’aucunes, d’après les éditions de 1645-64.
  4. « L’assurance que prend Mélisse, au quatrième de la Suite du Menteur, sur les premières protestations d’amour que lui fait Dorante, qu’elle n’a vu qu’une seule fois, ne se peut autoriser que sur la facilité et la promptitude que deux amants nés l’un pour l’autre ont à donner croyance à ce qu’ils s’entre-disent ; et les douze vers qui expriment cette moralité en termes généraux ont tellement plu, que beaucoup de gens d’esprit n’ont pas dédaigné d’en charger leur mémoire. » (Discours du poëme dramatique, tome I, p. 19.) Une note de Voltaire confirme ce qu’avance Corneille : « Si la Suite du Menteur, dit-il, est tombée, ces vers ne le sont pas ; presque tous les connaisseurs les savent par cœur. » — L’idée exprimée dans ce passage revient plusieurs fois dans les pièces de Corneille. Voyez tome II, p. 308 et 309.
  5. Ce n’est pas là précisément ce que dit Sylvandre ; mais dans le troisième