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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/395

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1730Vous, puisqu’en sa faveur je m’impose silence.

MÉLISSE.

C’est à Philiste donc que vous m’abandonnez ?
Ou plutôt c’est Philiste à qui vous me donnez ?
Votre amitié trop ferme, ou votre amour trop lâche,
M’ôtant ce qui me plaît, me rend ce qui me fâche ?
1735Que c’est à contre-temps faire l’amant discret,
Qu’en ces occasions conserver un secret !
Il falloit découvrir… mais simple ! je m’abuse :
Un amour si léger eût mal servi d’excuse ;
Un bien acquis sans peine est un trésor en l’air ;
1740Ce qui coûte si peu ne vaut pas en parler :
La garde en importune et la perte en console,
Et pour le retenir, c’est trop qu’une parole.

DORANTE.

Quelle excuse, Madame, et quel remercîment !
Et quel compte eût-il fait d’un amour d’un moment,
1745Allumé d’un coup d’œil ? car lui dire autre chose,
Lui conter de vos feux la véritable cause,
Que je vous sauve un frère et qu’il me doit le jour,
Que la reconnoissance a produit votre amour,
C’étoit mettre en sa main le destin de Cléandre,
1750C’étoit trahir ce frère en voulant vous défendre,
C’étoit me repentir de l’avoir conservé,
C’étoit l’assassiner après l’avoir sauvé,
C’étoit désavouer ce généreux silence
Qu’au péril de mon sang garda mon innocence,
1755Et perdre, en vous forçant à ne plus m’estimer,
Toutes les qualités qui vous firent m’aimer.

MÉLISSE.

Hélas ! tout ce discours ne sert qu’à me confondre.
Je n’y puis consentir, et ne sais qu’y répondre[1].

  1. Var. Je n’y puis consentir, et n’y sais que répondre. (1645-64)