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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/414

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Corneille faisait représenter un ouvrage portant le même titre, qu’il n’hésitait pas à préférer à Cinna et au Cid, et qui, bien

    historiens du théâtre s’accordent à mettre les deux pièces dans l’année 1644, et par conséquent à regarder la Rodogune de Corneille comme antérieure à Théodore, représentée incontestablement en 1645. Dans son édition, Voltaire dit d’une part que la Rodogune de Gilbert a été jouée à la fin de 1645, et de l’autre il place, suivi en cela par M. Lefèvre, la Rodogune de Corneille en 1646, après Théodore. Il ne fait pas connaître le motif qui l’a porté à un classement si contraire au témoignage unanime de tous ceux qui se sont occupés de notre théâtre ; mais ce motif est facile à deviner, et, au premier abord, il ne manque pas d’une certaine force. Théodore a été imprimée avant Rodogune, et dans tous les recueils, si l’on en excepte celui de 1663, elle passe la première*. C’est pour ne pas changer cet arrangement que Voltaire a modifié les dates données partout ; mais il aurait dû remarquer qu’une courte notice quasi officielle sur Corneille, publiée moins de dix ans après la représentation de Rodogune, intervertit cet ordre. Dans sa Relation contenant l’histoire de l’Académie françoise, publiée en 1653, Pellisson s’exprime ainsi (p. 553 et 554) à l’égard de notre poëte :

    « Corneille. Pierre Corneille, avocat général à la table de marbre de Rouen, né au même lieu. Il a composé jusques ici vingt-deux pièces de théâtre, qui sont Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale, Médée, l’Illusion comique, le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, la Mort de Pompée, le Menteur, la Suite du Menteur, Rodogune, Théodore, Héraclius, Don Sanche d’Arragon, Andromède, Nicoméde, Pertharite. Il a fait imprimer aussi deux livres de l’Imitation de Jésus-Christ en vers, et travaille aux deux autres. »

    Fontenelle n’est pas moins explicite à cet égard : « À la Suite du Menteur succéda Rodogune, » dit-il dans sa Vie de Corneille (Œuvres, tome III, p. 105). On doit donc penser, suivant nous, que Théodore n’ayant nullement réussi, Corneille, qui n’avait point intérêt à en retarder l’impression afin de conserver aux comédiens qui l’avaient montée un privilège dont ils se montraient fort peu jaloux, eut hâte d’en appeler aux lecteurs du jugement des spectateurs, et publia Théodore, tandis que Rodogune poursuivait le cours de son succès. Plus tard, dans les recueils, on adopta sans doute l’ordre de l’impression plutôt que celui de la représentation.

    * Dans l’édition de 1660, Théodore vient immédiatement après Pompée et précède le Menteur et la suite du Menteur ; Rodogune suit ces deux comédies. Dans l’impression de 1692, le Menteur et la Suite du Menteur sont placés après Pompée, et terminent le tome II ; Théodore et Rodogune commencent le tome III.