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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/415

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que généralement regardé comme indigne d’un tel honneur, mérite toutefois d’occuper un des premiers rangs parmi ses tragédies.

Si l’on compare les deux Rodogune, on est frappé des rapports qu’elles présentent jusqu’à la fin du quatrième acte. Le plan est identique, les situations analogues ; plusieurs vers même se ressemblent, autant toutefois que les vers de Gilbert peuvent ressembler à ceux de Corneille ; mais ce qui surprend tout d’abord, c’est que le nom qui sert de titre aux deux pièces n’est pas, dans chacune d’elles, appliqué au même personnage : la Rodogune de Gilbert est la Reine mère des deux jeunes princes, et correspond par conséquent à la Cléopatre de Corneille. Au cinquième acte tout rapport entre les deux ouvrages cesse brusquement, et le dénoûment de la Rodogune de Gilbert est aussi traînant et aussi plat que celui de la Rodogune de Corneille est terrible et sublime.

Fontenelle donne de cette ressemblance qu’offre la plus grande partie des deux pièces une explication toute simple et qui paraît fort plausible : « Je ne crois pas, dit-il, devoir rappeler ici le souvenir d’une autre Rodogune que fit M. Gilbert sur le plan de celle de M. Corneille, qui fut trahi en cette occasion par quelque confident indiscret. Le public n’a que trop décidé entre ces deux pièces en oubliant parfaitement l’une[1]. » Le confident indiscret n’avait sans doute pas eu connaissance du cinquième acte, pour lequel Gilbert fut abandonné à ses propres ressources ; et l’attention que Corneille avait mise à ne point nommer Cléopatre de peur qu’elle ne fût confondue par les spectateurs avec la célèbre princesse d’Égypte qu’il avait déjà mise au théâtre dans Pompée, contribua sans doute à faire croire au malencontreux imitateur que c’était ce personnage qui devait porter le nom de Rodogune.

La Rodogune de Gilbert est veuve d’Hydaspe, roi de Perse ; ses deux fils sont Darie et Artaxerce. La princesse promise à leur père, et qu’ils aiment tous deux, la Rodogune de Corneille en un mot, est une Lydie, fille de Tigrane, roi d’Arménie. À quel historien l’auteur emprunte-t-il les faits de la vie de Darius qu’il nous raconte ? Où trouve-t-il les personnages dont

  1. Œuvres, tome III, p. 106.