Une indigne curée aux vautours de Pharsale ;
Il fuit Rome perdue, il fuit tous les Romains,
À qui par sa défaite il met les fers aux mains ;
Il fuit le désespoir des peuples et des princes
Qui vengeroient sur lui le sang de leurs provinces[1],
Leurs États et d’argent et d’hommes épuisés,
Leurs trônes mis en cendre, et leurs sceptres brisés :
Auteur des maux de tous, il est à tous en butte,
Et fuit le monde entier écrasé sous sa chute.
Le défendrez-vous seul contre tant d’ennemis ?
L’espoir de son salut en lui seul étoit mis ;
Lui seul pouvoit pour soi : cédez alors qu’il tombe.
Soutiendrez-vous un faix sous qui Rome succombe,
Sous qui tout l’univers se trouve foudroyé,
Sous qui le grand Pompée a lui-même ployé ?
Quand on veut soutenir ceux que le sort accable,
À force d’être juste on est souvent coupable ;
Et la fidélité qu’on garde imprudemment,
Après un peu d’éclat traîne un long châtiment,
Trouve un noble revers, dont les coups invincibles,
Pour être glorieux, ne sont pas moins sensibles.
Seigneur, n’attirez point le tonnerre en ces lieux[2] :
Rangez-vous du parti des destins et des Dieux,
Et sans les accuser d’injustice ou d’outrage,
Puisqu’ils font les heureux, adorez leur ouvrage ;
Quels que soient leurs décrets, déclarez-vous pour eux,
Et pour leur obéir, perdez le malheureux.
Pressé de toutes parts des colères célestes,
Il en vient dessus vous faire fondre les restes ;
Et sa tête, qu’à peine il a pu dérober,
Toute prête de choir, cherche avec qui tomber.
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/44
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