Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et puisqu’il en faut faire une aide à ma foiblesse,
Que la guerre sans lui ne peut se rallumer[1],
J’userai bien du droit que j’ai de le nommer.
On ne montera point au rang dont je dévale[2]
500Qu’en épousant ma haine au lieu de ma rivale :
Ce n’est qu’en me vengeant qu’on me le peut ravir,
Et je ferai régner qui me voudra servir.

LAONICE.

Je vous connoissois mal.

CLÉOPATRE.

Je vous connoissois mal.Connois-moi tout entière.
Quand je mis Rodogune en tes mains prisonnière,
505Ce ne fut ni pitié, ni respect de son rang
Qui m’arrêta le bras, et conserva son sang.
La mort d’Antiochus me laissoit sans armée,
Et d’une troupe en hâte à me suivre animée
Beaucoup dans ma vengeance ayant fini leurs jours
510M’exposoient à son frère et foible et sans secours.
Je me voyois perdue, à moins d’un tel otage :
Il vint, et sa fureur craignit pour ce cher gage ;
Il m’imposa des lois, exigea des serments,
Et moi, j’accordai tout pour obtenir du temps.
515Le temps est un trésor plus grand qu’on ne peut croire :
J’en obtins, et je crus obtenir la victoire.
J’ai pu reprendre haleine, et sous de faux apprêts…
Mais voici mes deux fils que j’ai mandés exprès :
Écoute, et tu verras quel est cet hyménée
520Où se doit terminer cette illustre journée.

  1. Var. Que la guerre sans lui ne se peut rallumer. (1647-56)
  2. Dévaler, descendre. Voyez le Lexique.
    Var. On n’aura point ce rang, dont la perte me gêne,
    Qu’au lieu de ma rivale on n’épouse ma haine. (1660)