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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/491

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RODOGUNE.

Un mot ne fait pas voir jusques au fond d’une âme ;
Et votre espoir trop prompt prend trop de vanité
1150Des termes obligeants de ma civilité.
Je l’ai dit, il est vrai ; mais, quoi qu’il en puisse être,
Méritez cet amour que vous voulez connoître.
Lorsque j’ai soupiré, ce n’étoit pas pour vous ;
J’ai donné ces soupirs aux mânes d’un époux[1] ;
1155Et ce sont les effets du souvenir fidèle
Que sa mort à toute heure en mon âme rappelle.
Princes, soyez ses fils, et prenez son parti.

ANTIOCHUS.

Recevez donc son cœur en nous deux réparti ;
Ce cœur qu’un saint amour rangea sous votre empire,
1160Ce cœur pour qui le vôtre à tous moments soupire,
Ce cœur, en vous aimant indignement percé,
Reprend pour vous aimer le sang qu’il a versé ;
Il le reprend en nous, il revit, il vous aime,
Et montre, en vous aimant, qu’il est encor le même.
1165Ah ! Princesse, en l’état où le sort nous a mis,
Pouvons-nous mieux montrer que nous sommes ses fils ?

RODOGUNE.

Si c’est son cœur en vous qui revit et qui m’aime,
Faites ce qu’il feroit s’il vivoit en lui-même ;
À ce cœur qu’il vous laisse osez prêter un bras :
1170Pouvez-vous le porter et ne l’écouter pas ?
S’il vous explique mal ce qu’il en doit attendre,
Il emprunte ma voix pour se mieux faire entendre[2],
Une seconde fois il vous le dit par moi :
Prince, il faut le venger.

  1. « Espoux, dit Nicot dans son Dictionnaire, à l’article Espouser, est celui qui n’est que fiancé, et ne se peut encore porter pour mari. » Voyez le Lexique. — Voyez aussi plus haut, p. 415 et 425.
  2. Var. Il emprunte ma voix pour mieux se faire entendre. (1647-64)