Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1430Que mon cœur n’ait donnés à ce frère avant vous[1] ;
Et si vous bornez là toute votre vengeance,
Vos desirs et les miens seront d’intelligence.

CLÉOPATRE.

C’est ainsi qu’on déguise un violent dépit ;
C’est ainsi qu’une feinte au dehors l’assoupit[2],
1435Et qu’on croit amuser de fausses patiences
Ceux dont en l’âme on craint les justes défiances.

SÉLEUCUS.

Quoi ? je conserverois quelque courroux secret !

CLÉOPATRE.

Quoi ? lâche, tu pourrois la perdre sans regret ?
Elle de qui les Dieux te donnoient l’hyménée ?
1440Elle dont tu plaignois la perte imaginée ?

SÉLEUCUS.

Considérer sa perte avec compassion,
Ce n’est pas aspirer à sa possession.

CLÉOPATRE.

Que la mort la ravisse, ou qu’un rival l’emporte,
La douleur d’un amant est également forte ;
1445Et tel qui se console après l’instant fatal[3],
Ne sauroit voir son bien aux mains de son rival :
Piqué jusques au vif, il tâche à le reprendre,
Il fait de l’insensible, afin de mieux surprendre ;
D’autant plus animé que ce qu’il a perdu
1450Par rang ou par mérite à sa flamme étoit dû.

SÉLEUCUS.

Peut-être ; mais enfin par quel amour de mère
Pressez-vous tellement ma douleur contre un frère ?
Prenez-vous intérêt à la faire éclater ?

  1. Var. Que mon cœur n’ait cédés à ce frère avant vous. (1647-63)
  2. Var. C’est ainsi qu’au dehors il traîne et s’assoupit,
    Et qu’il croit amuser de fausses patiences
    Ceux dont il veut guérir les justes défiances. (1647-56)
  3. Var. Et tel qui se console après un coup fatal. (1647-56)