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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/91

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Il vous plaint d’écouter ces lâches politiques
Qui n’inspirent aux rois que des mœurs tyranniques :
1195Ainsi que la naissance, ils ont les esprits bas.
En vain on les élève à régir des États :
Un cœur né pour servir sait mal comme on commande ;
Sa puissance l’accable alors qu’elle est trop grande ;
Et sa main, que le crime en vain fait redouter,
1200Laisse choir le fardeau qu’elle ne peut porter.

PTOLOMÉE.

Vous dites vrai, ma sœur, et ces effets sinistres
Me font bien voir ma faute au choix de mes ministres.
Si j’avois écouté de plus nobles conseils,
Je vivrois dans la gloire où vivent mes pareils ;
1205Je mériterois mieux cette amitié si pure
Que pour un frère ingrat vous donne la nature ;
César embrasseroit Pompée en ce palais ;
Notre Égypte à la terre auroit rendu la paix,
Et verroit son monarque encore à juste titre
1210Ami de tous les deux, et peut-être l’arbitre.
Mais puisque le passé ne peut se révoquer[1],
Trouvez bon qu’avec vous mon cœur s’ose expliquer.
Je vous ai maltraitée, et vous êtes si bonne,
Que vous me conservez la vie et la couronne.
1215Vainquez-vous tout à fait ; et par un digne effort
Arrachez Achillas et Photin à la mort :
Elle leur est bien due ; ils vous ont offensée ;
Mais ma gloire en leur perte est trop intéressée.
Si César les punit des crimes de leur roi,
1220Toute l’ignominie en rejaillit sur moi :
Il me punit en eux ; leur supplice est ma peine.
Forcez, en ma faveur, une trop juste haine.
De quoi peut satisfaire un cœur si généreux

  1. Var. Mais puisque le passé ne se peut révoquer. (1644-56).