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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/94

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1275C’est l’effet des ardeurs qu’ils daignoient m’inspirer ;
Et vos beaux yeux enfin m’ayant fait soupirer,
Pour faire que votre âme avec gloire y réponde,
M’ont rendu le premier et de Rome et du monde.
C’est ce glorieux titre, à présent effectif,
1280Que je viens ennoblir par celui de captif :
Heureux, si mon esprit gagne tant sur le vôtre,
Qu’il en estime l’un et me permette l’autre !

CLÉOPATRE.

Je sais ce que je dois au souverain bonheur
Dont me comble et m’accable un tel excès d’honneur.
1285Je ne vous tiendrai plus mes passions secrètes :
Je sais ce que je suis ; je sais ce que vous êtes.
Vous daignâtes m’aimer dès mes plus jeunes ans ;
Le sceptre que je porte est un de vos présents ;
Vous m’avez par deux fois rendu le diadème :
1290J’avoue, après cela, Seigneur, que je vous aime,
Et que mon cœur n’est point à l’épreuve des traits
Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits.
Mais, hélas ! ce haut rang, cette illustre naissance,
Cet état de nouveau rangé sous ma puissance,
1295Ce sceptre par vos mains dans les miennes remis,
À mes vœux innocents sont autant d’ennemis.
Ils allument contre eux une implacable haine :
Ils me font méprisable alors qu’ils me font reine ;
Et si Rome est encor telle qu’auparavant,
1300Le trône où je me sieds m’abaisse en m’élevant ;
Et ces marques d’honneur, comme titres infâmes,
Me rendent à jamais indigne de vos flammes.
J’ose encore toutefois, voyant votre pouvoir,
Permettre à mes desirs un généreux espoir.
1305Après tant de combats, je sais qu’un si grand homme
A droit de triompher des caprices de Rome,
Et que l’injuste horreur qu’elle eut toujours des rois