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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/99

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1415Comme autre qu’un Romain n’a pu l’assujettir,
Autre aussi qu’un Romain ne l’en doit garantir.
Tu tomberois ici sans être sa victime ;
Au lieu d’un châtiment ta mort seroit un crime ;
Et sans que tes pareils en conçussent d’effroi,
1420L’exemple que tu dois périroit avec toi.
Venge-la de l’Égypte à son appui fatale,
Et je la vengerai, si je puis, de Pharsale.
Va, ne perds point de temps, il presse. Adieu : tu peux[1]
Te vanter qu’une fois j’ai fait pour toi des vœux[2].


Scène V.

CÉSAR, CLÉOPATRE, ANTOINE, LÉPIDE,
ACHORÉE, CHARMION.
CÉSAR.

1425Son courage m’étonne autant que leur audace.
Reine, voyez pour qui vous me demandiez grâce !

CLÉOPATRE.

Je n’ai rien à vous dire : allez, Seigneur, allez
Venger sur ces méchants tant de droits violés.
On m’en veut plus qu’à vous : c’est ma mort qu’ils respirent,
1430C’est contre mon pouvoir que les traîtres conspirent ;

  1. Var. Va, ne perds point le temps, il presse. Adieu : tu peux. (1648-56)
  2. « Ces derniers vers que prononce Cornélie frappent d’admiration, et quand ce couplet est bien récité, il est toujours suivi d’applaudissements. Quelques personnes ont prétendu que ces mots : « tu peux te vanter, » ne conviennent pas, qu’ils contiennent une espèce d’ironie, que c’est affecter sur César une supériorité qu’une femme ne peut avoir. On a remarqué que cette tirade, et toutes celles dans lesquelles la hauteur est poussée au delà des bornes, faisaient toujours un peu moins d’effet à la cour qu’à la ville. C’est peut-être qu’à la cour on avait plus de connaissance et plus d’usage de la manière dont les personnes du premier rang s’expriment, et que dans le parterre on aime les bravades, on se plaît à voir la puissance abaissée par la grandeur d’âme. » (Voltaire)