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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, tome 1.djvu/36

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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

qu’on ne saurait pardonner à l’auteur les frais inutiles d’un voyage de Constantinople à Paris ; ce défaut de génie devient surtout palpable dans les surprises et l’étonnement où, à l’imitation des Lettres persanes, nos usages et nos mœurs ne manquent pas de jeter ces prétendus étrangers. L’auteur des Lettres persanes a su faire une critique très-fine de nos mœurs et de nos usages les plus ordinaires, par les réflexions à la fois originales et naturelles qu’ils font faire au Persan qui parle. Le lecteur agréablement surpris et satisfait, se dit toujours en lisant : « Si j’étais Persan, j’aurais vu et dit comme lui. » Le Turc de M. le chevalier d’Arcq a aussi de ces surprises ; il va à l’Opéra, il se croit transporté dans un pays de féerie, il est pétrifié d’étonnement. Le lecteur ennuyé dit : « Voilà un grand sot ; si j’étais Turc, et que je visse l’Opéra de Paris pour la première fois, je ne pourrais m’empêcher de trouver ce spectacle extrêmement ennuyeux et puérile, parce que le bon sens est choqué à chaque instant, et qu’il semble qu’on s’y soit fait une loi de détruire toute sorte d’illusion, sans laquelle il n’y a point de spectacle qui soit supportable. » Tout ce qui regarde les mœurs dans ces Lettres dont nous parlons, est commun ; les portraits sont souvent faux, toujours faibles et sans coloris, et copiés maussadement, d’après les ouvrages de M. de Crébillon fils et de M. Duclos. Le financier grossier et ridicule qu’Osman nous peint d’après tant de copies dont on nous fatigue depuis long-temps, n’existe plus à Paris. Ce portrait pouvait être ressemblant il y a cinquante ans, lorsque Le Sage fit sa comédie de Turcaret ; aujourd’hui que nos financiers sont, en général, très‑aimables, qu’ils ont de très‑bonnes et très‑agréables maisons, et qu’ils ne ressemblent pas plus à ces anciens financiers, que nos marquis ne ressemblent