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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/130

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chaque jour les Indiens, craignant qu’ils ne détruisissent la dernière chaussée comme les autres, ce qui équivalait, pour nous, à une mise à mort ; pressé par mes compagnons de partir au plus tôt ; tous étant blessés et la majorité si gravement, qu’ils ne pouvaient plus combattre, je résolus de quitter la ville cette nuit même.

Je pris tout l’or et les bijoux de Votre Majesté qui se pouvaient emporter et les déposai dans une des salles de notre palais ; là, je les remis par ballots aux officiers de Votre Altesse, nommés à cet effet en votre nom royal ; je les remis aussi aux alcades, corregidors, regidors, et à tous ceux qui étaient présents, les priant qu’ils m’aidassent à les emporter et à les sauver ; je donnai une de mes juments que l’on chargea autant qu’il se pouvait et je la fis garder par certains de mes Espagnols et de mes serviteurs ; quant au reste, je le distribuai entre les officiers, les alcades, les corregidors et les soldats pour qu’ils l’emportassent. Le palais dépouillé de ses richesses, tant de celles appartenant à Votre Majesté, qu’à mes soldats et à moi-même, je partis le plus secrètement possible, emmenant avec moi un fils et deux filles de Muteczuma, Cacamazin le seigneur de Culhuacan, son frère que j’avais nommé à sa place et autres princes et caciques de villes et provinces que je retenais comme otages. En arrivant aux tranchées que les Indiens avaient abandonnées, je passai facilement la première avec le pont que j’avais préparé, nul du reste pour nous en défendre le passage, sauf quelques sentinelles, qui poussèrent aussitôt les hauts cris, de sorte qu’en arrivant à la seconde tranchée nous étions entourés d’une multitude qui nous assaillait par terre et par eau ; je passai rapidement avec cinq cavaliers et une centaine de fantassins avec lesquels nous traversâmes à la nage toutes les tranchées pour atteindre enfin la terre ferme. Laissant mes hommes en arrière je retournai à la rescousse ; des deux côtés, on combattait avec fureur et ma troupe, Espagnols comme Tlascaltecs, nos alliés, souffraient des pertes énormes ; des milliers d’Indiens tombaient sous nos coups : mais nombre d’Espagnols et de chevaux succombèrent. Nous perdîmes tout l’or, les bijoux, les étoffes, tout ce que nous emportions ; nous perdîmes toute l’ar-