Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/129

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chef de leur religion ; il vint, leur parla et nous mit d’accord. Ils envoyèrent alors des courriers, qui d’après leurs assurances devaient ordonner aux capitaines et soldats de leurs divers postes, d’avoir à cesser le combat et déposer les armes. Sur ce, nous nous séparâmes et je me mis tranquillement à dîner dans l’intérieur du quartier, quand tout à coup, on vint m’avertir que les Mexicains avaient repris les ponts dont nous nous étions emparé le matin et qu’ils m’avaient tué plusieurs Espagnols. Dieu sait quelle émotion me causa cette fatale nouvelle, ne voyant plus comment nous pourrions nous ouvrir la route de terre. Je partis à toute bride, suivi de quelques chevaux, longeai la rue entière sans m’arrêter, tombai sur les Indiens, repris les ponts et arrivai, les poursuivant, jusqu’à la terre ferme. Mes hommes étaient fatigués, blessés, terrorisés, et devant cet immense péril ne me suivirent pas ; de sorte que, une fois les ponts passés, quand je voulus revenir, je les trouvai aux mains des ennemis et les fossés dégagés. La tranchée était de droite et de gauche couverte d’Indiens, et les abords de la lagune remplis de canots bondés d’hommes armés ; et tous, nous couvraient de tant de milliers de pierres et de javelots que, sans l’assistance miséricordieuse de Notre Seigneur, il nous eût été impossible d’échapper. Mes gens se crurent perdus ; quand j’arrivai au dernier pont pour pénétrer dans la ville, je le trouvai encombré par mes cavaliers dont tous les chevaux s’étaient abattus, de façon que je ne pus passer. Je fus obligé, seul, de faire face à mes ennemis et en même temps je m’efforçais d’ouvrir un passage pour que les chevaux pussent gagner l’autre bord. Une fois le pont libre, je passai, non sans grande difficulté, car pour atteindre la rive opposée, il me fallait faire, avec mon cheval, un saut de plus de deux mètres : les Indiens qui me chargeaient, ne purent, grâce à ma cuirasse, me faire grand mal, mais ils me meurtrirent le corps.

Les Mexicains restèrent donc victorieux cette nuit-là, et maîtres de quatre ponts. Je laissai les quatre autres à la garde de fortes escouades et je regagnai notre palais où je fis construire un pont de bois que portaient quarante hommes. En voyant le grand péril où nous étions, et quelles pertes nous infligeaient