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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/132

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de quelle fatigue ! Des vingt-quatre chevaux qui nous restaient, pas un qui pût courir, pas un cavalier qui pût lever les bras et pas un misérable soldat qui, tous blessés, pût faire un mouvement.

Nous nous fortifiâmes dans ce temple où nous fûmes cernés toute la nuit sans que nous pussions reposer une heure. Dans cette effroyable déroute nous perdîmes cent cinquante Espagnols, quarante-cinq chevaux et juments et plus de deux mille Indiens alliés[1] ; on nous tua également le fils et les filles de Muteczuma et tous les seigneurs que j’emmenais prisonniers. Cette même journée, vers minuit, nous croyant moins surveillés, nous sortîmes de notre camp en silence, laissant nos feux allumés, sans savoir quel chemin prendre, ni où nous allions, lorsqu’un Indien de Tlascala, qui nous servait de guide, se chargea de nous ramener chez lui, si on ne venait pas nous couper la retraite. Des sentinelles nous aperçurent ; elles appelèrent les populations environnantes qui se rassemblèrent en masse et nous suivirent toute la nuit. Quand le jour parut, cinq de mes cavaliers qui nous servaient d’avant-garde tombèrent sur des troupes d’Indiens dont ils tuèrent quelques-uns ; ceux-ci furent défaits et s’enfuirent, croyant que le reste de mes gens arrivait. Voyant que les ennemis se réunissaient de toutes parts, je pris les mesures suivantes : je réunis les mieux portants de mes hommes fantassins et cavaliers que je répartis en avant et sur les côtés, tandis que les blessés occupaient le centre ; ce fut ainsi que nous cheminâmes tout le jour, combattant sans trêve ni repos, de façon qu’en un jour et une nuit, nous fîmes à peine trois lieues. Sur ces entrefaites, le Seigneur voulut qu’à la tombée de la nuit nous fissions la rencontre d’un temple et sa pyramide qui nous fournirent un excellent quartier où nous nous fortifiâmes. Pour cette nuit on nous laissa tranquilles, encore qu’au jour naissant il y eut une autre attaque, mais sans conséquence autre, que la crainte que nous avions de cette multitude, qui nous suivait sans répit.

Un autre jour, je partis à une heure de l’après-midi dans

  1. Bernal Diaz del Castillo dit, huit cent soixante et dix Espagnols et douze cents Tlascaltecs. Johan Cano dit, onze cent soixante et dix.