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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/137

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arriver plus sûrement à la Veracruz et à revenir le plus vite possible, me faire savoir ce qui s’était passé. Grâce à Dieu, ils trouvèrent les Espagnols en bonne santé et les Indiens soumis.

Ce nous fut une consolation dans notre tristesse ; mais la nouvelle de nos désastres fut pour eux un grand sujet de douleur. Je restai vingt jours dans la ville de Tlascala, soignant mes blessures qui s’étaient envenimées pendant la retraite, surtout celle de la tête, et faisant soigner celles de mes compagnons. Quelques-uns moururent, soit de leurs blessures, soit de leurs fatigues ; d’autres restèrent manchots, d’autres boiteux, car les remèdes manquaient pour les pansements. Moi-même je restai estropié de la main gauche.

Les gens de ma compagnie, témoins de tant de morts et voyant ceux qui survivaient, maigres, blessés et terrorises par les périls et les souffrances qu’ils avaient à subir et les redoutant de nouveau pour l’avenir, me suppliaient de les ramener à la Veracruz ; nous pourrions, disaient-ils, nous y fortifier avant que les naturels que nous tenions pour alliés se révoltassent en nous voyant si faibles et si misérables, se joignissent à nos ennemis pour nous empêcher de gagner le port, et nous écrasassent sous le nombre. Une fois à la Veracruz, étant tous réunis, appuyés sur nos navires, nous serions plus forts et nous pourrions plus facilement nous défendre s’ils nous attaquaient, jusqu’à ce que nous pussions faire venir du secours des îles. Pour moi, je crus que montrer une telle pusillanimité, surtout aux yeux de nos amis, serait perdre notre prestige et peut-être nous les aliéner ; puis, je savais que la fortune aime les audacieux. Enfin nous étions chrétiens, et confiant en la bonté miséricordieuse de Notre Seigneur ; je pensai qu’il ne permettrait pas que nous périssions tous, ni que se perdît une si grande et si noble contrée pacifiée par Votre Majesté ou sur le point de l’être ; qu’il fallait donc poursuivre la guerre pour achever cette pacification, obtenue déjà, et je me refusai de toutes façons à retourner à la mer. Passant sous silence les travaux et les dangers qui nous pouvaient subvenir, je dis à mes hommes que je n’abandonnerai point cette contrée, non seulement parce que ce serait une honte pour moi, mais un