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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/15

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la vérité, ou de manquer de bonne foi : il semble redouter le jugement de la postérité.

Au sujet du complot de Cholula par exemple, il parle de trois ou quatre mille morts tandis que les historiens accusèrent près de trente mille victimes ; il tait l’abominable guet-apens qu’Alvarado tendit à la noblesse mexicaine et qui provoqua le soulèvement de la nation tout entière. Comme tout général, il enfle peut-être ses exploits comme les défaites de ses adversaires et, grâce au merveilleux de son entreprise, tombe dans des exagérations qui frappent le lecteur ; il n’hésite pas à compter des centaines de mille dans le dénombrement de ses ennemis ; un jour même, il compte cent quarante-neuf mille Tlascaltecs — c’est trop. Son avidité, ainsi que celle de ses compagnons, vous révolte, encore qu’on sache bien que les conquêtes en général n’ont d’autre but que la recherche de l’or et la dépouille des vaincus.

Lorsqu’après soixante et quinze jours de siège, la grande ville affamée, ruinée, détruite se rendit avec ses derniers soldats mourants, il exalta l’indomptable courage de Guatimozin, cet empereur de vingt-deux ans qui, refusant de se rendre, lui demandait la mort ; mais il oublie de dire que, quelques jours plus tard, il le faisait mettre à la torture avec un de ses capitaines pour lui arracher le secret de ses trésors. Épisode cruel et déshonorant qui nous a valu l’héroïque apostrophe du jeune souverain à son ami, à qui la douleur arrachait une plainte : « Et moi, suis-je sur un lit de roses ! » D’après Gomara, cette charmante phrase ne serait point la vraie ; ce serait la suivante : Guatimozin regarda son compagnon avec colère, le traita de lâche et lui dit : « Et moi, suis-je à quelque plaisir ou au bain ? »