Aller au contenu

Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était tard, nous préparâmes des logements dans un palais assez vaste pour nous abriter tous. Au petit jour, nos alliés les Indiens commencèrent à piller et incendier la ville, sauf le palais où nous logions, et ils y mirent une telle rage qu’ils en détruisirent plus d’un quart. Je laissai faire, parce que lorsque nous nous échappâmes en déroute de la ville de Mexico et que nous arrivâmes à Tacuba, les habitants se joignirent aux Mexicains pour nous accabler et nous tuer beaucoup de monde.

Pendant les six jours que nous restâmes en cette ville de Tacuba nous n’eûmes ni rencontre, ni escarmouche avec les ennemis. Les capitaines de Tlascala et leurs guerriers passaient le temps à défier les Mexicains et à les provoquer en combats singuliers ; ils luttaient donc les uns contre les autres fort galamment, s’interpellant, se menaçant, s’accablant d’injures et nous donnant chaque jour un spectacle des plus curieux ; pendant lequel succombait une foule d’ennemis sans que pas un de nous courût aucun danger. De notre côté, nous poussions des pointes sur les chaussées et les ponts de la ville, où, malgré leurs grands moyens de défense, les Mexicains ne résistaient que faiblement. Parfois, ils feignaient de nous laisser pénétrer dans leur ville, nous criant : « Entrez, entrez vous reposer », et d’autres fois : « Croyez-vous que nous avons encore un Muteczuma pour faire tout ce que vous vouliez ? » Sur ces entrefaites, je me trouvai un jour près d’un pont dont ils avaient enlevé le tablier. J’étais d’un côté, eux de l’autre ; fe lis signe à mes hommes de garder le silence, et, comme les Mexicains comprirent que je voulais parler, ils firent aussi taire les leurs.

Je leur adressai donc la parole, leur demandant pourquoi ils étaient assez fous pour s’exposer à être exterminés. Je m’informai s’il y avait parmi eux quelque haut seigneur de la ville, qu’il s’approchât, que j’avais à lui parler. Ils me dirent que toute cette multitude de guerriers étaient des seigneurs et que je pouvais parler. Comme je ne répondais pas, ils commencèrent à m’insulter ; et je ne sais qui des miens leur cria qu’ils mourraient de faim et que nous ne les laisserions plus sortir à la recherche des vivres. Ils repartirent qu’ils n’étaient en nécessité de rien, et que, dans ce cas, ils se nourriraient de nos