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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/327

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que, pendant cinq ou six jours, nous aurions à traverser une contrée déserte.

Je traversai donc la rivière avec force canoas ; elle était si large et le courant si violent que le passage fut des plus difficiles ; nous y perdîmes un cheval et divers ballots d’effets appartenant aux Espagnols ; une fois de l’autre côté, j’envoyai de mes hommes avec des guides pour ouvrir le chemin, le reste de la troupe suivant en arrière. Après avoir marché trois jours au milieu d’épaisses forêts, dans un sentier fort étroit, j’allai déboucher sur un estuaire de plus de cinq cents pas de large ; je cherchai à le tourner de droite ou de gauche, mais sans réussir ; les guides me dirent que je n’avais d’autre ressource que de faire un trajet de vingt lieues à travers les montagnes.

Cette rencontre me jeta dans la plus terrible inquiétude ; il paraissait impossible de traverser cet estuaire ; nous manquions de canoas, et quand nous en aurions eu, nous n’aurions pu passer ni les bagages ni les chevaux, car de chaque côté s’étendaient d’affreux marais encombrés de racines d’arbres ; il ne fallait donc point y penser. Retourner sur nos pas, c’était nous exposer à périr, par suite des mauvais chemins dont nous avions eu peine à sortir et des effroyables averses qui tombaient. Nous pouvions être sûrs que la crue des rivières avait emporté les ponts, et, songer à les refaire, devenait bien difficile avec des hommes aussi fatigués. Il fallait penser aussi que nous avions consommé tous les vivres qui se trouvaient sur cette route et que nous ne trouverions plus rien à manger ; en effet, je traînais avec moi une troupe nombreuse, car, en dehors des chevaux et de mes Espagnols, j’étais suivi de plus de trois mille Indiens.

Pousser en avant, j’ai dit à Votre Majesté ce que j’en pensais ; toute conception, tout projet devenait en cette circonstance inutile et vain ; Dieu seul, dans sa miséricorde, pouvait nous tirer de là. Je trouvai une toute petite canoa avec laquelle je fis sonder l’estuaire ; je trouvai partout plus de quatre brasses de profondeur ; avec des lances attachées bout à bout, je voulus m’assurer de la nature du fond et j’y trouvai deux autres brasses de fange, faisant un total de six brasses.