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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/346

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qu’au milieu de cette inondation, nous souffrions de la soif et que la plupart des chevaux en moururent. Et si chaque soir, nous n’avions pas construit des cabanes de feuilles et de branchages pour nous abriter, ce qui nous permettait de recueillir un peu d’eau dans des vases et dans des chaudrons que remplissait cette éternelle averse, pas un de nous, homme ni cheval, ne serait sorti de ces montagnes.

C’est là que l’un de mes neveux se cassa la jambe en trois ou quatre endroits : ce qui, outre la douleur qu’il en ressentit, nous causa une peine infinie pour le tirer de là. Pour nous achever, nous trouvâmes, à une lieue de Tenciz, une grande rivière que les pluies avaient tellement gonflée et qui coulait si rapide, qu’il était impossible de la traverser. Les Espagnols de l’avant-garde qui en avaient remonté le cours, trouvèrent un gué, le gué le plus extraordinaire qu’on puisse imaginer : en effet, la rivière en cet endroit s’étend sur une largeur de près d’une lieue, se trouvant endiguée plus bas par d’énormes pics rocheux ; ils forment comme une porte très étroite par où l’eau se précipite avec une violence extraordinaire, et plusieurs de ces goulets se suivent, par où la rivière s’engouffre avec la même vitesse. L’on ne pouvait traverser qu’en l’un de ces endroits, et il nous fallut abattre de grands arbres qui atteignaient d’une rive à l’autre. C’est par là que nous passâmes au milieu des plus grands dangers, à peine soutenus par des lianes qui nous servaient de garde-fous et qui reliaient les deux bords. À la moindre hésitation, au moindre glissement, on était perdu. Nous mîmes deux jours à effectuer ce dangereux passage ; quant aux chevaux ils traversèrent à la nage, en aval dans une eau plus calme et furent trois jours pour arriver à Tenciz qui n’était qu’à une lieue de là. Ils venaient si fourbus de leur traversée de la montagne, qu’ils n’eussent pu faire un pas s’ils n’avaient été soutenus.

J’arrivai à ces hôtelleries de Tenciz la veille de la pâque de résurrection ; beaucoup de mes gens n’y arrivèrent que trois jours plus tard ; je parle de ceux qui avaient des chevaux et qui avaient été obligés de les attendre ; j’y avais été précédé de deux jours par mes hommes d’avant-garde. Ils avaient trouvé des Indiens dans les maisons de l’endroit et s’étaient emparés