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Page:Coubertin - Histoire universelle, Tome II, 1926.djvu/94

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rome

elles subsistaient avec leur complexité de conception et le réseau des précautions et des scrupules imposés jadis par des ancêtres méfiants. Mais si l’on affectait d’y demeurer fidèles, il se dépensait une cynique habileté à tourner les lois. La corruption électorale surpassant tout ce qu’on vit jamais dans les temps modernes, le chantage à l’état endémique, aucune fidélité aux convictions affichées ni aux engagements pris, des candidats évincés recrutant comme Catilina des mercenaires pour attaquer Rome, des fonctionnaires recourant comme Verrès à des brigandages pour dépouiller leurs administrés, voilà pour les mœurs publiques ; les mœurs privées témoignaient d’un égal amoralisme ; tous les vices, l’usure, le mensonge, des scandales sans fin, le divorce et l’adultère pénétrant dans les milieux jusqu’alors austères, une frénésie de jouissance allant du raffiné au vulgaire Il est instructif de regarder Cicéron circuler au milieu de toute cette corruption et de noter la peine incessante que devait se donner un honnête homme pour vivre au sein d’une pareille société sans y compromettre sa dignité et y risquer sa propre honnêteté.

César fut le premier à comprendre l’impuissance romaine, à en saisir le caractère définitif. Il partit de là pour élaborer le plan d’un monde nouveau. C’est l’infortune de ce grand homme que sa figure, au lieu de se détacher comme celle d’Alexandre, seule, en pleine lumière, au centre de son temps demeure confondue sur un bas relief tragique avec les silhouettes des hommes inquiétants, louches ou médiocres parmi lesquels il a dû accomplir son œuvre. On ne saurait d’ailleurs comparer équitablement César et Alexandre sauf sur un point, capital il est vrai. L’un et l’autre ont forcé et dirigé le destin. Ils sont probablement dans toute l’histoire, les seuls dont on puisse dire qu’ils ont décidé de l’orientation de la civilisation d’une façon profonde et qui pourtant n’était pas fatale en sorte que, sans eux, le développement s’en fut opéré différemment. Par ailleurs, entre eux, tout diffère. En treize années de jeunesse, Alexandre muni, dès le début, de l’instrument nécessaire put achever le vaste tracé de son entreprise. César, lui, n’héritait ni d’un trône ni d’une armée ni même d’une situation sociale solidement établie. Certes, il descendait d’aïeux illustres mais sa famille était de celles auxquelles les nobles reprochaient de récentes mésalliances. C’est ainsi que César se trouvait être le neveu de Marius. De plus dans un temps rien — même le bien — ne pouvait s’accomplir sans d’énormes dépenses, il n’avait à sa disposition que des ressources insuffi-