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Page:Coubertin - Histoire universelle, Tome IV, 1926.djvu/96

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histoire universelle

maniaques et de martyrs volontaires, où l’on se querelle longuement pour savoir si le signe de la croix doit être fait avec trois doigts ou seulement deux siècles sans progrès apparents et que traversent des rebellions. Novgorod et Pskof jamais résignées à la perte de leur indépendance érigent des gouvernements populaires qu’il faut abattre à nouveau ou bien ce sont les cosaques du Don soulevés par un élan communiste et arrivant jusque près de Moscou guidés par leur chef Stenka Razine lequel déclare « être venu pour tuer les boïars et les riches et partager en frère avec les simples et les pauvres ». Des interrègnes se succèdent, des minorités de princes incapables, des régences de princesses mystiques. Le trône passe à un boïar, Boris Godounof, beau-frère du précédent tsar et dont l’impopularité s’accroît des malheurs publics qui surviennent, pestes, famines… mais le malheur le plus grand et dont il est responsable, c’est en 1597 l’asservissement des paysans par leur fixation au sol. La population encore clairsemée tendait à se concentrer sur les terres des moines ou des plus riches seigneurs. Les petits propriétaires voyaient ainsi leurs revenus diminuer. Or, comme les anciens féodaux, ils devaient au tsar le service militaire. Il leur fallait s’y présenter armés, équipés, avec une escorte convenable. De là leurs plaintes. L’ukase de 1597 leur donna satisfaction. Il fut dès lors défendu au paysan de s’éloigner et il fut permis de le poursuivre en cas de fuite et de le ramener de force ainsi que sa famille.

Une longue crise de désordres et d’apathie s’ouvrit après la mort de Boris. L’homme qui contribua le plus à la dénouer fut Cosma Minine, un boucher de Nijni-Novgorod dont la physionomie demeurée dans une pénombre sympathique évoque curieusement la nouvelle Russie, hésitante encore devant les conséquences de son unité et pourtant résolue à la maintenir. Le peuple russe partageait-il donc l’ambition qu’A. Rambaud prête aux premiers tsars[1] de faire de Moscou la « troisième Rome » et leur prétention d’identifier la Russie avec ce « sixième empire » dont parle l’apocalypse ? On en peut douter mais il est certain que s’était établie dès alors dans les cerveaux de tous la notion d’une étroite corrélation entre la grande étendue solidaire de la

  1. Le titre de tsar pris par Ivan IV, en 1547 est celui sous lequel les anciens livres slavons désignaient Nabuchodonosor, Assuérus, les pharaons, les césars romains ou byzantins. Il impliquait l’idée de rang suprême, de majesté impériale. En l’assumant, les anciens « grands princes » de Moscovie élevaient leur pouvoir « au-dessus des rois ».