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Page:Courteault - Mme Desbordes-Valmore à Bordeaux, 1923.pdf/14

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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

l’oublia pas. Le 8 mai 1824, il écrivait de Paris à son ami Édouard Delprat : « Annoncez-moi à Mme Desbordes-Valmore dont on me parle souvent ici et à qui j’enverrai un ange[1]. » On sait que Vigny appelait Mme Desbordes-Valmore le « plus grand esprit féminin de notre temps[2] ».

La lettre déjà citée de Sophie Gay nous apprend que Marceline avait « le bonheur » de voir souvent à Bordeaux Delprat, le cousin d’Émile Deschamps et que sa fille aînée, la future Mme O’Donnell, était l’amie de Georgina. Georgina, c’était la fille de Mme Nairac. Marceline, elle aussi, devint vite son amie et elle l’aima de cette tendresse fougueuse qu’elle mettait dans ses affections. De son côté, la jeune fille aima Marceline. J’imagine qu’elle devait être assez romanesque et que les confidences qu’elle reçut lui inspirèrent de la pitié et de l’admiration. Elle dut trouver belle cette passion malheureuse qui avait dévasté le cœur et la vie de Mme Desbordes-Valmore. Elle rêva d’éprouver, elle aussi, les joies et les tortures de l’amour. Georgina Nairac avait l’âme romantique. Que furent ses entretiens avec Marceline sous les ombrages de Lormont, où les Nairac avaient une propriété ? On ne le saura jamais, mais on le devine un peu. En effet, Marceline a dédié à la jeune fille une grande pièce de vers, où elle se peint avec l’habituel désordre de ses sentiments. Elle débute par de sages conseils : Georgina, sous l’influence de sa grande amie, s’est laissé aller à rêver d’amour. Marceline la conjure de résister à cette tentation, à laquelle elle a eu le malheur de céder : « Ah ! prends garde à l’amour… » Et puis, elle fait un retour sur elle-même et lui peint avec une douloureuse complaisance la passion qu’elle a éprouvée : « Mais tu n’as pas souffert, etc[3]. » La deuxième partie de la pièce, la plus longue, dut faire oublier à Georgina le début. Cette amitié si tendre fut brisée. Mlle Nairac mourut, le 6 janvier 1825[4], et cette mort nous a valu les beaux vers que voici :

Regret

Des roses de Lormont la rose la plus belle,
Georgina près des flots nous souriait un soir ;
L’orage dans la nuit la toucha de son aile,
Et l’aurore passa, triste, sans la revoir.

  1. C’est-à-dire un exempiaire d’Éloa. — Cf. L. de Bordes de Fortage, Lettres inédites d’Alfred de Vigny, p. 26.
  2. Boulenger, p. 302.
  3. Poésies, éd. Lemerre, t. I, p. 112-113.
  4. Cf. P. Meller, Essais généalogiques, Nairac, p. 8.