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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/21

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13 mars.

Beyla. — Deux villages indigènes au milieu d’un cirque de montagnes peu élevées et entièrement dépourvues d’arbres et d’arbrisseaux.

— Toute cette étendue sera aussi verdoyante dans un mois, qu’une Normandie, me dit l’administrateur.

Normandie sans vaches, ou presque, et dont l’herbe produirait un foin singulier. Elle est composée de roseaux fins mais qui s’allongent tant qu’ils cacheront des buffles l’hiver et flamberont l’été comme du pétrole. C’est à cette nature d’herbes, si on peut dire, que tient sans doute la persistance du déboisement. Ouvrages d’hommes disparus, — personne ne peut me dire de quels hommes, — cette disparition totale des arbres dans une région si bien arrosée, si proche de la grande forêt, est un phénomène qui attriste comme une déchéance, une sénilité.

Artificiellement un petit parc a été créé pour orner l’esplanade où sont bâties sur un côteau les résidences des fonctionnaires blancs : administrateur, adjoint, trésorier et les cases des services administratifs. Ce sont des bâtiments à un seul étage, longs, blanchis à la chaux, pourvus d’une vérandah et couverts de paille.

Inévitables fleurs décoratives des résidences : flamboyants, ibiscus, bougainvilléas, d’ailleurs importés. Fruits : beaucoup d’ananas et d’oranges.

Dans la campagne : du riz, du maïs, du fonio et, produit bien plus rare : d’excellentes pommes de terre.

Les trois Français sont mariés, ils se fréquentent étroitement et sont fort aimables ainsi que leurs femmes.

Vivre là, au-dessus des deux villages noirs, dans cette aire d’ombre, à trois ménages blancs, à six blancs, à quoi cela peut-il bien correspondre ?

À la vie de nos préfets ? Non, car les préfets dînent chez leurs administrés. À la vie de châtelains ? Non, car les châtelains vont à la messe avec leurs fermiers.

Les blancs restent à l’ombre, les noirs au soleil, ils ne se rencon-

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