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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/25

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basses neuves et enfin des porteurs de guinzés, monnaie locale en fer indigène extrait dans la région d’où je viens, et grossièrement forgé en tiges courtes, de poids égal.

Tous ces produits seront échangés cette après-midi contre des kolas et de l’huile de palme fournis par les peuples de la forêt lesquels ne peuvent élever de bœufs et sont avides de leur chair, sont privés de sel, ne cultivent pas les courges calebasses, savent transformer le fer des guinzés en outils de culture, mais n’exploitent pas les mines. Boola est la ligne de partage des eaux, des mœurs et des territoires situés sur les versants nord et sud du système montagneux guinéen.

C’est un carrefour aussi accessible aux indigènes de la Côte d’Ivoire, du Libéria, du Sierra Léone qu’à ceux de la Guinée et du Soudan français. Les Tomas sont les intermédiaires commerciaux des peuples de la forêt, les Dioulas sont ceux des peuples de la brousse.

Il faut gravir une côte pour accéder au village, mais, à l’arrivée sur le plateau, le regard se trouve encore arrêté par de très proches et abruptes montagnes nues comme des marbres ; marbres veinés de rose et de vert avec délicatesse, selon que la roche affleure ou que l’herbe, rare et pâle, la dissimule.

Entre le caravansérail rectangulaire, à plusieurs cloisons, où l’on m’installe, et le village, s’étend la place du fameux marché. Place d’élection, vaste, absolument plane, ornée plutôt qu’ombragée, par quelques fromagers trop élancés, sans doute par envie des sommets voisins. Elle est presque déserte quand nous arrivons à 10 heures ; mais c’est à ce moment que dans les chemins environnants s’enfle la crue des arrivants déversés depuis l’aube par tous les sentiers. À midi la place est totalement couverte et le garde cercle qui perçoit le droit d’entrée d’un sou par personne me dit que le nombre des participants sera d’environ trois mille. Les femmes sont de beaucoup les plus nombreuses et les plus actives. Les hommes se pavanent lentement au pourtour du plateau, s’accostent ou s’assoient, amplifiés par leurs boubous bleus ou rayés blanc et bleu. Nues à l’exception du court pagne de coton blanc qui leur ceint les reins et y fixe souvent leur

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