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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/24

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suis un chef et tu n’es qu’en ancien captif, je ne te dois rien. »

À cette époque passait par le village une femme déjà mûre, captive nouvellement libérée qui s’en allait à Odienné (Côte d’Ivoire) pour y rechercher ses parents.

Le père d’Aoua lui offre une bonne hospitalité, la loge, la nourrit bien et la met en relations avec son créancier Moriba.

Le couple sympathise comme il l’espérait et finit par vivre dans une même case. Le rusé chef se réjouit déjà. Mais un beau jour la femme se souvient de sa famille, Moriba de sa fiancée, et ils veulent se quitter.

C’est alors que le chef ne veut pas laisser partir la femme, prétendant qu’elle est mariée avec Moriba.

Cela s’appelle vulgairement l’escroquerie au mariage avec substitution d’épouses, mais c’est un beau drame et les acteurs que j’ai vus avant-hier à l’audience étaient émouvants.

Le chef de village grand, maigre, figure longue, nez crochu, lèvres minces et teint cuivré, métis d’arabe, témoignait d’autant d’aisance dans la pratique de la tyrannie que dans la manière de draper son boubou de Karamoko[1]. Moriba, timide, ne serait sans doute pas venu là sans sa maîtresse qui le défendait. C’est elle, cette ancienne captive guerzée aux traits marqués, aux seins las, qui est l’héroïne de l’histoire. Elle seule n’a pas peur du chef, ses gestes droits et ses regards accusateurs le percent comme ses paroles. Il veut qu’elle s’avoue épouse légitime de Moriba : elle revendique avec véhémence l’illégitimité de son union, les droits de Moriba et leur liberté.


16 mars.

Boola. — J’ai précipité mon départ de Beyla pour arriver ici le jeudi, jour du marché célèbre, le plus grand marché de kolas de l’Afrique Occidentale.

Nous dépassons tout le long du chemin des marchands et leurs troupeaux de bœufs, des caravanes d’ânes, d’interminables processions de femmes surtout, aux têtes surmontées de multiples étages de cale-

  1. Dignitaire musulman.
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