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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/39

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cadeaux autant qu’à les prendre, je ne peux tout de même pas me comporter absolument comme les serpents.

Dans l’après midi, le capitaine commandant le cercle de N’Zérécoré m’a fait enlever, ainsi que mes bagages, par des hamacaires et des porteurs neufs. Les miens qui ont fait ce matin vingt-cinq kilomètres en feront bien autant, déchargés, ce soir, car l’essentiel pour eux est d’atteindre au plus vite le poste et de s’en retourner chez eux, à Beyla. Ils y retourneraient même dès à présent sans être payés si on leur en laissait le choix ; le prix d’un franc par jour, tarif général des colonies pour le portage masque mal la prestation.

J’ai rejoint le capitaine, sa femme, son lieutenant, ses sous-officiers, ses interprètes, ses chefs de province et leur armée de jeunes garçons dans un village où s’est faite leur concentration, en vue des journées du recrutement. Le docteur est déjà arrivé de Macenta à N’Zérécoré et nous le rejoindrons ce soir. Les hamacs des dames sont placés en tête de l’armée, ou du moins le capitaine le commande ainsi, mais il n’en est rien. En éclaireurs ou en hérauts, un grand nombre d’hommes nous précède. Nous flottons en réalité dans nos nacelles suspendues, sur une mer de coureurs noirs. Quelle mer agitée et bruyante ! Cris d’acclamation, cris d’excitation, mouvements de corps demi-nus, de boubous amples unis ou rayés, de lances et autres attributs des chefs, car tout le monde est forcé de courir entraîné par les hamacaires qui se relaient sans cesse. C’est une belle tempête que je vois où se heurtent des formes et des couleurs puissantes, mais qui, ô prodige ! n’agite pas du tout nos hamacs. Les Guerzés savent l’art de porter que les Malinkés ignorent. Si ce n’était le bruit des voix et l’éclat du spectacle, je pourrais dormir.