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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/41

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bracelets de coude et de jarret brodés de grelots, et de deux longues plumes d’aigle savamment courbées en arrière comme des antennes qu’ils fixent dans le cimier de cheveux tressés, réservé sur leurs fronts tondus. Leurs visages sont fardés de brun rouge autour des yeux et zébrés de deux traits blancs sur les pommettes. Une étroite et longue écharpe indigo leur sert à appuyer et à préciser les différents angles que font leurs bras avec leur corps. Mais rarement s’écartent leurs pieds, sinon d’avant en arrière, rarement ils s’élèvent pour des bonds ; presque toujours ils frappent le sol de très près, des pointes et du talon et des bords de la plante. Les pieds semblent s’occuper au jeu de tam-tam, non à la danse. Le danseur nègre est tel qu’un arbre qui plonge aux sources du rythme ses racines et livre au vent de la danse ses branches. Les reins des frêles garçons se creusent, leurs jupes se gonflent, leurs bras s’abattent ou s’étendent, leur tête s’incline jusqu’au thorax ou se renverse dans leur dos, la double plume de leur coiffure effleurant leur croupe, mais toujours leurs pieds, fixés au clavier, les empêchent de s’envoler.

Les nioumous échassiers sont des danseurs géants d’une folle élégance qui mesurent près de trois fois la taille d’un homme de la pointe de leurs échasses à l’extrémité de leurs hauts bonnets emplumés. Lorsque Ghibi les a aperçus il m’a dit avec effroi : « De quel pays qu’ils viennent les hommes faits comme ces grands-là ? » Il a été bien rassuré d’apprendre qu’ils étaient des hommes faits comme lui, mais dissimulés dans une architecture. Autrefois, d’après les dires de l’interprète, les habitants des villages croyaient aussi que ces êtres étranges étaient d’essence surnaturelle. Féticheurs affiliés à des sociétés secrètes, ils terrorisaient autant par leurs apparences que par les actes dont on les supposait auteurs. Déchus maintenant, ils viennent danser les jours de fête devant la case de l’administrateur français, comme des griots.

Ils dansent à l’aise sur l’esplanade, mais les spectateurs ne peuvent pas former autour d’eux le cercle qui enferme ailleurs, les banals tam-tams. Il faut de l’espace aux fantaisistes évolutions de ces obélisques humaines. La foule dont je fais partie borne leurs ébats d’un

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