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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/42

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côté, arrondie en croissant de lune, et des danseurs s’essaiment devant nous en constellations. L’orchestre est auprès de moi. Pas de balafon ici ; des mandolines au ventre énorme, orangé et poli, au long manche, des violes étroites, des cornes de koba, des triangles et castagnettes indigènes, des tam-tams quadruples.

J’ai conscience, certes, à l’audition des ensembles, d’une science et d’une complexité de rythmes peut-être plus grandes qu’en d’autres pays, même nègres, mais je ne saurais rien noter, faute d’éducation spéciale. Il me faut donc passivement me laisser pétrir par les assauts des sons, tandis que j’observe leurs effets sur les artistes.

Les nioumous sont des acrobates merveilleux. Sans appui, sans balancier, ils écartent les extrémités de leurs échasses, les rapprochent ou les croisent. Parfois, ils plongent du buste en avant de telle sorte que l’extrémité de leur long bonnet menace la foule qui crie ; puis, brusquement, ils se renversent en arrière. D’autres fois ils vont, déhanchés et sautillants faisant mousser leur jupe de fibres ou courent à travers les rangs de figurants nus étendus sur le sol. Enfin, ils se laissent tomber par terre pliés en deux à hauteur des genoux leur face en velours noir tournée vers le ciel : c’est la mort du nioumou. Et il y a sa résurrection : il se traîne un peu, et savamment se hisse, se redresse et s’enfuit à grands écarts d’échasses.

En somme les phases de leur pantomime sont celles que nous utilisons : l’offrande des formes, coquette, puis frénétique jusqu’à la chute, à la mort, ou à la fuite, et ils usent des mêmes moyens de séduction que nos ballerines puisqu’ils font des pointes exaspérément et que leurs jupes de fibres rouges s’envolent aussi autour d’eux comme du tulle. Mais ils dansent sans pieds, sans mains, sans visage, sans aucune des apparences du corps humain, et c’est ce qui les distingue de nos étoiles.

Leur visage est caché par un loup en résille noire qui moule leur front et qui s’orne de deux mignonnes boules : la bouche, le nez, et d’un flot de longs rubans : la barbiche.

Un hennin démesuré, rouge et bleu, clouté d’argent, hérissé d’aigrettes, frangé, en ruche, de petits coquillages blancs, surmonte ce

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