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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/56

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6 avril.

La nuit dernière à Koulé, fut plus peuplée de bruits que d’habitude. Cela tient à l’abondance de la pluie d’hier qui provoque la renaissance du monde hivernal. Que de coassements, que de crissements, de hullulements, de miaulements ! Mais au-dessus de ces rumeurs ardentes et touffues, trois notes régnaient, plainte d’oiseau mélodique et claire au-dessus d’un chœur ténébreux de reptiles ; notes pures, aiguës, tierce mineure ascendante et quarte, tel un jet bref ininterrompu nuit et jour, de trois perles rose, violette et bleue.

En quittant Koulé, nous montons et nous parvenons au flanc dénudé d’une montagne d’où la vue s’étend sur une mer d’arbres. Ce devrait être une mer d’arbres, mais c’est en réalité une mer de brumes si dense, si plane, si bien endormie que les petites collines plantées de palmiers qui en émergent ressemblent à des îles. Je songe qu’il ne m’est plus nécessaire de visiter des mers lointaines orientales pour connaître des archipels féeriques. La mer que je vois est couleur de mercure et d’or, les îles allongées sont noires et leurs palmiers bleus ressemblent sur leurs saillies de velours à de grandes épingles aux têtes turquoise fichées sur des pelotes, à profusion.

Le village de N’Zébéla, ancien poste militaire, a été prévenu de ma visite. Le chef est venu à une quinzaine de kilomètres au devant de moi. L’instituteur indigène, étant pourvu d’une bicyclette, l’avait devancé. Ce tout jeune homme est un Malinké de belle humeur, nouvellement sorti des écoles de Gorée, qui est fier de représenter l’Europe à N’Zébéla par son costume et par ses fonctions. Il fait grand contraste avec les représentants des populations guerzées que je viens de fréquenter, si raffinés en savoir vivre. Ce n’est certes pas lui qui se laisserait tuer pour témoigner de politesse. Il ne cesse de me contredire, sans nécessité, sur tout, sur la chaleur et la couleur, par sport. Cela me réconforte et m’amuse.


À N’Zébéla, le chef de village qui m’a escortée, le chef de province et tous leurs parents m’envahissent. Ma case située à l’entrée du village ressemble à une ruche dans laquelle la population,

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