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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/61

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J’imagine facilement qu’elle serait la narration des incidents précédents, faite par un colonial. Il n’y serait question que de brutes ivres, de faces bestiales et grimaçantes, de gestes simiesques ou obscènes, d’odeur infecte. Or, je n’ai rien trouvé de tout cela quoique j’aie pris la peine de regarder les gens de très près, ainsi que je viens de le dire.

La malveillance des voyageurs en général tient à plusieurs causes, mais une grande responsabilité en revient aux peintres. Ceux-ci s’étant adjugé le privilège de découvrir la beauté, il est évident qu’avant leur passage, il n’existe que de la laideur. Il n’y a que peu de temps encore nous étions laids nous-mêmes ; nos figures, nos corps, nos costumes, nos paysages étaient informes auprès de ceux de nos ancêtres. Mais depuis les « Canotiers » de Renoir, les « Promeneuses » de Seurat entr’autres consécrations, nous sommes beaux. Les noirs d’Afrique le seront demain. Ceux de N’Zébéla seront magnifiques, riches d’humour et de sève comme une page de Rabelais.

Certes l’art collectif admirable des Guerzés et des Pahouins ne saurait renaître dans ce milieu où s’est amorcé à notre contact le goût de la liberté individuelle. Mais que c’est beau de voir de vieilles institutions craquer sous la pression d’une vie nouvelle qui se gonfle. Elles craquent à N’Zébéla, non pas trop, à la manière d’une digue qui se rompt mais à la manière d’un corsage usé sous la pesanteur de beaux seins.