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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/62

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7 avril.


Nous serons à midi à Erié. Mais je ne suis pas pressée d’y être. Je voudrais toujours être en route, car je ne me lasse pas de la forêt. Quand j’ai quitté Beyla, l’administrateur m’a dit : « Vous n’appréciez pas notre grand ciel ; vous souhaitez connaître la forêt ? Votre curiosité, je l’ai eue, nous l’avons tous eue, mais tous nous nous sommes vite lassés de la prison verte, obscure et méphitique. Au bout de trois jours j’y étouffe. L’air, l’espace, les grands horizons, voilà ce dont on ne se lasse jamais. »

Non seulement je n’étouffe pas dans la forêt comme le bouillant commandant de cercle, mais l’air m’y gênerait, je n’y peux souffrir aucun trou artificiel ou naturel, c’est une exagération inverse.

Nous passons près d’un village dont le chef, un ancien sergent, vient me saluer sur la route. Il est joyeux de me revoir, il m’a connue à St Raphaël. Je lui parle à peine, parce que je regarde près du village de grands arbres abattus que des hommes ébranchent et commencent à réduire en cendres pour en constituer la fumure de leur rizière. Je ne peux pourtant pas dire à cet homme que ce sont mes arbres et qu’il vient de dégrader mon toit, mais sa présence active me semble une effraction ; la présence du ciel même quoique paisible me gêne aussi quand, par hasard, je la surprends entre deux cimes. Il me semble voir une grosse tête bleue indiscrète qui veut me surprendre chez moi. Et je déteste aussi les rayons du soleil quand ils font irruption jusqu’au sol, en colonne. J’ai recouvré l’instinct jaloux des hommes des cavernes en quelques jours. J’aime ma caverne d’or vert à la voûte diamantée, aux longues galeries de stalactites en lianes. Et ces touffes de grandes fougères y ressemblent à des ballets d’eaux jaillissantes.

Qui me parle d’emprisonnement et de solitude ? Il n’existe pas d’autre prison que la monotonie, ou alors la terre elle-même est une prison. Une caverne est un univers quand elle se multiplie ; la mienne, aujourd’hui, est chatoyante comme le ciel et la mer à la fois. Si je voyais une déchirure à sa voûte en ce moment, j’en pleurerais, car elle

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