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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/76

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celui-là à leurs yeux ? Un Africain acquiert par la circoncision une initiation virile ; un Toma acquiert par la retraite, une initiation aux rites de sociétés puissantes. Et il est évident qu’un homme qui a reçu l’initiation mystique de sept ans ne peut être aux yeux de ses compatriotes, un homme ordinaire. Tel, chez nous, un agrégé en philosophie.

Quant à la science acquise en forêt, si nous en ignorons certaines branches, l’une, que nous pouvons vérifier, est d’une perfection frappante : c’est la science du secret. Car cela est un fait qu’aucun Européen, aucun profane blanc ou noir ne peut connaître les mystères de la forêt. La mort punit sur place les observateurs indiscrets et nul n’a pu rien apprendre auprès des initiés eux-mêmes. Par quelle magique exploitation de la peur ces maîtres féticheurs arrivent-ils à fermer à jamais, sur leurs troubles pratiques, la bouche de leurs pauvres adeptes ? Nos prêtres à nous en seraient intrigués et jaloux, eux qui ne savent qu’agiter sans cesse, pour nous faire rester sages, ces menaces des flammes éternelles dont les effets actuels sont si intermittents !

L’administration française aussi est jalouse de la puissance des féticheurs et elle interdit en principe les retraites, qu’elle déclare contraires à la civilisation. À laquelle ? En France chaque individu a la sienne. En pratique d’ailleurs l’interdiction est vaine, le commandant de cercle ne pouvant pas fermer la forêt et la faire inspecter comme le parc Monceau.


Pendant les premiers temps de mon séjour à Macenta, je travaillais sur la hauteur, non loin des bureaux du poste ; pendant les derniers, je m’installais de préférence sur le bord de la route qui descend au village.

La situation stratégique du poste est excellente, sur la hauteur, pour observer le mouvement des brumes qui montent et descendent chaque matin contre le flanc des montagnes ou tentent d’envahir la vallée. Mais la route qui conduit au village indigène est une place incomparable pour observer tous les mouvements. Macenta est la ville du mouvement. Les brumes montent et descendent ; les terrains

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