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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/77

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aussi, chargés d’arbres ; les porteurs aussi, chargés d’eau ; les tirailleurs, chargés de fusils ou de matériaux. Tous les soirs les nuages montent, chargés d’électricité, et la pluie ainsi que la foudre tombent ; les femmes des tirailleurs descendent à l’heure du marché et remontent ; des indigènes de tous les âges et des militaires blancs vont et viennent du village aux divers services administratifs : bureau du commandant du cercle, trésorerie, tribunal, infirmerie, postes et télégraphe, école, prison.

L’aspect de Macenta est l’un des plus animés, des plus gais de la colonie et je me demande si on le doit à la situation de la route qui facilite les déplacements, au caractère du capitaine qui les commande, où à la nature même des Tomas. Certes, je sais qu’il ne suffit pas de créer une route agréable entre un village noir et un poste français pour qu’elle devienne un torrent de foule indigène comme à Macenta. Presque tous les sièges d’administration que j’ai visités ailleurs sont situés à l’extrêmité d’une montée comme à Macenta et cependant leurs chemins d’accès ressemblent à des gaves desséchés. Les habitants de Macenta m’expliquent qu’ils doivent leur activité à celle de leur capitaine actuel et celui-ci l’attribue à une qualité naturelle des Tomas. De telles appréciations réciproques ne sont pas banales à la colonie. Serait-ce donc qu’il n’y a plus ici de préjugés de race et de distinction de classes ? Ils subsistent entiers. Le capitaine est persuadé de l’existence d’un fossé entre la race blanche et la noire et m’assure que ses administrés sont ambitieux du pouvoir, menteurs, querelleurs et que leurs femmes, dès qu’on les émancipe, tombent aux pires relâchement de mœurs. Partout ailleurs en Guinée, où se professent de telles opinions, administrateurs et administrés se haïssent. Ici ils s’entendent. Affaire d’esprit, affaire de sève. Le capitaine a beaucoup d’esprit et de jeunesse, les Tomas aussi.

Le capitaine, petit, menu, très vif d’expression et de geste, torrentueux de mots, est tellement jeune qu’il préfère à son insu, naïvement, les hommes aux institutions, la vie à la mort.

Il en arrive à oublier que les tirailleurs font l’exercice avec des fusils et il les arme de perches, de bottes de pailles, de matériaux et

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