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Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/79

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les Syriens vont arriver ici et prendre leur place, tu pourras revenir dans ce moment-là : tous les Tomas viendront te voir pour te demander de faire réclamation au Président de la République.

Ghibi est craintif, je l’ai déjà dit ; il ne saurait jouir de rien ; mais moi, je m’abandonne à mes impressions heureuses. Ce capitaine agile et enjoué, ces Tomas confiants, nouveaux-nés à la domination française, cela me rappelle quelque chose, un spectacle étrange et touchant d’innocence ; c’était, dans une ferme, au milieu d’un clapier, une pigeonne blanche qui couvait des lapereaux gris.


Demain, départ pour Queckédou, pays kissien, avec Mamady Koné et son cousin Mara qui sont venus relever Ghibi de son service auprès de moi. Celui-ci a d’abord laissé voir sa joie d’être libéré et puis il en a eu des remords. « Moi aussi, me dit-il, j’aurais bien voulu t’accompagner jusqu’à Conakry et en France. Quand tu seras arrivée là-bas, il faut le dire, j’irai à Paris. Mais maintenant je vais te dire pourquoi je retourne au Soudan. Le jour que j’ai quitté mon village, pour te trouver à Bamako, tout le monde a dit à ma femme : ton Ghibi a trouvé la place pour faire boy à Paris. Elle a pleuré beaucoup ; alors, moi j’ai dit que je vais retourner, c’est pour ça que je quitte ici, parce que si je partais avec toi en France, ma femme dirait : c’est tout le monde qui a dit vérité ; c’est mon Ghibi seul qui a fait mensonge. »

Un mensonge, cela le gêne bien ! Le mensonge, c’est ce qu’il vient de me dire par politesse, par tendre politesse, car il n’a pas du tout envie de me suivre en France, lui qui a si peur d’être vu ! Il va, d’ici, courir tout droit à son village pour s’y recacher, comme le grillon dans son trou.