Page:Cousturier - La Forêt du Haut-Niger, 1923.pdf/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’outils divers destinés à des constructions d’utilité publique. Il en arrive à oublier aussi que les juges doivent leur prestige aux condamnations qu’ils prononcent et il préside le tribunal et les palabres comme des tournois de bon sens.

Les Tomas, qui sont fins, se rendent volontiers à ses « mots » et ils admettent même un peu d’arbitraire, pourvu qu’il s’aide d’à propos comme dans ce cas typique :

D’anciens esclaves des Tomas ont formé, seuls, un village. Le capitaine leur choisit un chef ; mais ce chef s’ennuie. Ancien esclave lui aussi, il n’a pu hériter de l’attribut de la puissance, ce sceptre indigène qui figure une queue de bœuf ; et il n’a pas d’autorité. Le capitaine à qui il se plaint, fait couper la queue de son cheval blanc pour créer un sceptre adéquat à la situation nouvelle. Et tous les Tomas applaudissent.

La population du cercle de Macenta pense que l’administrateur a de l’esprit et elle ne pense pas encore qu’il pourrait l’exercer contre elle. C’est un état de confiance. Il y a une période de confiance dans les relations entre blancs et noirs comme dans tous les mariages, même de convention. Et puis viennent la lassitude et les conflits. Macenta offre le spectacle de la lune de miel, mais la plupart des cercles déjà visités donnent l’impression de vieux et mauvais ménages. J’y mesurais l’infidélité des épouses (les populations), au nombre des billets doux dont elles me chargeaient pour les gouverneurs, les ministres et les « Français de Paris. » Les Tomas, eux, ne se recommandent qu’à leur administrateur. Ils ne songent pas encore que leurs intérêts et ceux de leurs gouvernants ne sauraient s’enrouler sur la même pelote. Ghibi seul m’en parle avec son expérience de Soudanais.

— Tu n’as pas vu, me dit-il, les sacs de pièces de 5 francs que tous les Tomas portent, pour payer l’impôt. Ils sont contents aujourd’hui pour payer ; mais tu vas voir un peu plus tard, quand les Français auront emporté l’argent-là et ramené rien que du papier dans tout le pays, les indigènes auront mal au cœur pour donner des pièces. Et puis, ici, c’est bon maintenant parce que les Tomas font tous commerçants et gagnent beaucoup avec les kolas ; mais quand

76