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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/116

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SOUVENIRS

dame, et je viens ici pour vous conseiller de ne plus vous habiller ni vous coiffer de cette manière-là. Toute la dépense que vous faites pour votre toilette est de l’argent perdu !… Mme Necker étouffait de colère, et ses préparatifs de sermon la suffoquaient. Cet extravagant lui dit ensuite que la taille et la figure de Mlle sa fille étaient trop massives et trop communes pour qu’elle pût avoir aucune prétention raisonnable à l’élégance ou la distinction, et que ce serait charité que de l’en avertir (Mlle Nancy Necker). Elle eut toutes les peines du monde à se débarrasser de cet amoureux supposé qui voulait absolument la décoiffer. La frayeur avait fini par la prendre ; les deux confidens intervinrent, et le petit M. Thélusson trouva la chose tellement comique, qu’il ne put s’empêcher de la raconter à ses amis.

Une autre fois, c’étaient M. Necker et Mme Necker, assistés de Mme Trudaine, autre philosophe éclairée, qui promenaient leur philanthropie dans la cuisine et les cabanons, les corridors et les cours de l’hôpital des fous ; c’était pour inspecter le régime alimentaire, hygiénique et curatif de ces détenus, et c’était aussi pour y contrôler cette partie de l’administration du Ministre de la maison du Roi, M. de Breteuil.

Mme Necker faisait toujours semblant d’être convaincue que les condamnés étaient des innocens et que la plupart des pendus n’avaient pas mérité de l’être ; mais elle était réellement persuadée que les trois quarts des gens renfermés aux Petites-Maisons n’étaient pas des insensés : c’étaient des infortunés