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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/117

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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

sans crédit et sacrifiés à l’avidité de leurs païens dénaturés ; c’étaient quelquefois des prisonniers par lettres de cachet, et dans tous les cas, c’étaient des victimes de l’arbitraire ! Cette imagination de Mme Necker était l’objet de sa méditation prédominante ; c’était pour elle une idée fixe, une sorte de folie.

On avait parlé d’un mauvais coucheur, appelé M. Daunou de Guitry, que sa femme avait, disait-on, fait conduire à l’hôpital et loger à l’étroit, pour avoir ses coudées plus franches et le champ plus libre. Ainsi la première chose que firent nos redresseurs de torts, en arrivant à Bicêtre, ce fut de se faire représenter ce malhenreux époux qui répondit à leur interrogatoire avec toute la raison, la tranquillité d’esprit et la résignation possibles. C’était, disait Mme Trudaine, un homme de cinquante à soixante ans, qui paraissait très-sérieux, très-discret et très-compassé ; mais, sur toute chose, il était respectueusement formaliste ; il ne proféra pas le nom de sa femme et ne la désigna pas même indirectement ; il dit seulement qu’il avait eu le cerveau dérangé, croyait-il, à la suite de plusieurs émotions pénibles, mais qu’il était guéri depuis plus de quatre ans, et qu’on abusait de l’état où il avait été pour le retenir indéfiniment dans cette maison, afin d’administrer sans contrôle et d’user plus commodément de sa fortune. M. le Contrôleur-général avait les larmes aux yeux, et sa bienfaisante épouse était radieuse ! On promit d’en parler directement au Roi, et M. de Guitry ne manqua pas de se confondre en actions de grâces, en remerciemens les mieux mérités et des plus légi-